Un article d’Hervé Rony, directeur général de le Scam, pour la lettre Astérisque n°65.

Avant la crise sanitaire, un consensus avait fini par se faire jour pour la présentation au Parlement d’une « grande loi audiovisuelle » embrassant l’ensemble des problématiques du moment : gouvernance du service public, droits d’auteur, assouplissement de certaines obligations des chaînes de télévision, mise en place de quotas pour les plateformes de vidéo à la demande, etc.

Il s’agissait de moderniser la loi fondatrice de 1986 à l’heure du numérique et de la présence d’acteurs tentaculaires – de Google à Facebook en passant par Netflix, Disney, Amazon et consorts – opposant aux médias traditionnels leur puissance financière phénoménale, leur dextérité à répondre aux attentes du public et leur capacité à faire fi des contraintes auxquelles les acteurs européens, français en particulier, sont soumis. Même si le confinement a montré une bonne tenue des chaînes historiques, voire une attractivité renouvelée, ne nous mentons pas : l’heure est à l’implosion du paysage audiovisuel.

Dans ces conditions, le projet de loi devait d’une part transposer trois directives européennes, toutes favorables aux intérêts des créateurs, d’autre part fixer un cadre réglementaire adapté aux réalités du nouveau contexte dans lequel évoluent les médias.

Aujourd’hui faut-il maintenir une « grande loi », ou y renoncer et ne conserver de la réforme que les dispositions essentielles les plus urgentes ? Dans la situation actuelle, l’urgence est de transposer les directives qui constituent de réelles avancées :
La directive sur les droits d’auteur, adoptée après une bataille homérique, contre Google notamment, marque un tournant. Les milieux de la culture et des médias, très unis, et grâce au soutien d’une poignée de députés inflexibles, ont emporté une belle victoire : l’obligation pour les « fournisseurs de partage de contenus » sur le Net, des plateformes type YouTube ou des réseaux sociaux type Facebook de conclure des accords pour rémunérer les auteurs et de lutter contre la présence d’œuvres illicite.
La directive SMA (sur les services de médias audiovisuels) fixe l’obligation pour les plateformes de vidéo à la demande de proposer au moins 30 % d’œuvres européennes ; ce taux est inférieur à celui imposé aux télévisions linéaires qui, lui, se situe à 50 %. Parler de victoire, comme on l’a dit, est sans doute excessif mais à l’origine le texte fixait ce taux à 20 %.
Là encore les députés ont bataillé contre de nombreux États membres. Quand l’Europe joue contre son camp ! Ces services devront aussi financer la production audiovisuelle : la loi permettra donc d’établir enfin une concurrence loyale entre chaînes historiques et plateformes.
La directive câble-satellite. Ce texte régit les diffusions de programmes transfrontalières dans l’Union depuis 1993. Modifié en 2019, il précise désormais, à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (affaire SBS) et des interprétations divergentes susceptibles d’avoir un grave impact sur la rémunération des auteurs, que le diffuseur qui transmet directement ses programmes à ses téléspectateurs et, le cas échéant, le distributeur qui reprend ces programmes et les propose à ses abonnés sont tous deux redevables des droits d’auteur. Juridiquement, chacun est responsable d’une « communication au public », laquelle ouvre droit à rémunération. Et ce sans que la chaîne de télévision puisse s’exonérer du paiement des droits pour la « part » qui relèverait de la distribution de ses programmes aux abonnés du distributeur.
Ces directives vont toutes dans le sens d’un soutien aux créateurs. Leur transposition ne peut être retardée.

En revanche, de multiples dispositions du projet de loi ouvertes à débat sont plus délicates à trancher et l’on peut s’interroger sur la possibilité qu’aura le Parlement d’en débattre compte tenu du bouleversement du calendrier législatif. L’organisation du service public fait partie des sujets les plus sensibles. La création d’une holding, France Médias, pour chapeauter Radio France, France Télévision, l’INA et France Médias Monde signe, aux yeux du ministre de la Culture, l’ambition affirmée de l’État pour un audiovisuel public fort. Certes, la Scam l’a dit et répété, une structure de regroupement n’est rien si le service public n’a pas les moyens adaptés à sa mission. Or la sanctuarisation des financements en faveur de la création ne suffira pas pour affronter la concurrence des plateformes. Ce n’est pas en baissant d’1 euro le montant de la CAP (ex-redevance) que le gouvernement pourra convaincre de ses ambitions. Et ne doit-on pas être très inquiet quand le nouveau rapporteur général du budget, le député LREM Laurent Saint-Martin, et le ministre du Budget jugent le système de financement du service public « injuste » ? Plutôt qu’une critique qui ne pourra que délégitimer le système, ont attendait d’eux un nouveau dispositif qui garantisse à la fois des moyens ambitieux et l’indépendance de l’audiovisuel public. On attend toujours.

Autre sujet, la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et d’Hadopi pour former une instance unique, l’Arcom. Avoir une seule institution de régulation capable d’embrasser médias traditionnels, médias en ligne et lutte contre les contenus illicites est positif. C’est une bonne manière de faire « entrer » le droit d’auteur au sein de l’instance de régulation de l’audiovisuel.
Le président actuel du CSA y est au demeurant sensible.

Enfin, mentionnons le volet des allègements de contraintes des télévisions privées : troisième coupure publicitaire, levée des jours interdits pour les films cinématographiques. Ce ne sont pas des assouplissements révolutionnaires ; tant mieux car la Scam qui défend les œuvres patrimoniales n’a aucun intérêt à voir le groupe TF1 ou M6, qui sont désireux de baisser les droits, avoir des obligations de production moins exigeantes.

La crise sanitaire et son corollaire, la crise économique, vont peser dramatiquement sur les créateurs. Dans ce contexte, si les dispositions du projet de loi audiovisuelle conservent tout leur sens, c’est aussi et surtout un plan de relance de la filière culture et médias qui s’impose.

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