En écho aux Assises de l’audiovisuel organisées par Aurélie Filippetti, le président de la Scam, Jean-Xavier de Lestrade, revient dans le Huffington Post, sur l’un des enjeux majeurs : le financement de l’audiovisuel public.

Le 5 juin dernier, le ministère de la Culture et de la Communication, dans une volonté de concertation louable et appréciée, convoquait les professionnels pour des Assises de l’audiovisuel. Les sujets sont nombreux, les enjeux essentiels, et particulièrement celui du financement de l’audiovisuel public.

A cet égard, les événements récents qui se sont déroulés au Portugal sont éclairants. Au début de l’année 2013, le gouvernement portugais en proie à une grave crise économique, songe à vendre son audiovisuel public à la découpe et fermer certains de ses services. La RTP (Rádio e Televisão de Portugal) représente 17 chaînes de télévisions et de radio et une part de marché en déliquescence. Une société pétrolière est intéressée. Les chaînes privées concurrentes, quant à elles, ne sont pas fâchées de la fermeture de plusieurs antennes d’autant plus que l’audiovisuel est dans ce contexte de crise un enjeu important. Le chômage  augmente de façon dramatique (son taux atteint 17,5 % en mars dernier) et le temps passé devant le poste de télévision augmente de concert. En 2012, les portugais ont passé en moyenne 5h30 devant leur téléviseur. Avec le chômage galopant, ce temps consacré à la télévision a cru d’une heure en une seule année.

Autrement dit, au moment crucial où de nombreux citoyens sont en détresse, les pouvoirs publics désertent leur champ de vision. L’Etat met entre les mains des intérêts privés le média le plus utilisé : la télévision. Pire, il prend le risque d’une parole publique intégralement filtrée par des intérêts privés.

Finalement, le gouvernement portugais a renoncé à ses funestes projets. On ne peut que se féliciter de cette issue. On peut (et doit) aussi en tirer les leçons. En France, si la crise a moins durement touché son économie, la situation n’en n’est pas moins inquiétante. Le chômage augmente de mois en mois, le temps passé devant la télévision aussi (3h50 en 2012, cinquante minutes en plus en deux ans). Se pose donc de la même manière la question du lien social.

A l’heure où la télévision prend de plus en plus de place dans la vie des citoyens, il y a péril à ce que l’Etat se désengage. Car, en l’absence d’audiovisuel public, que reste-t-il ? Quelle est l’offre des chaînes privées ? Quelle vision donne-t-elle à voir de la société ? Quelle place accorde-t-elle à la culture, à l’histoire, au savoir ? Quelle garantie d’impartialité donne-t-elle tandis qu’elle est entièrement dépendante des ressources publicitaires ?

Le documentaire, on le sait, est tout simplement absent des programmes des chaînes privées. TF1 a une programmation davantage portée sur la fiction et la téléréalité, M6 sur la téléréalité également et sur le magazine. Canal Plus est avant tout axé sur le cinéma et le sport. Les nouvelles chaînes de la TNT n’ont d’yeux que pour les reportages low-cost et les programmes recyclés.

Depuis 2006, la Scam a délivré 187 Etoiles à des documentaires télédiffusés. Les chaînes publiques sont largement en tête avec 41% pour France Télévisions et 33 % pour Arte, tandis que toutes les autres chaînes (TNT, câble, locales …) se répartissent les 26% restant. Le documentaire qui prend le temps d’interroger, qui s’adresse au sens critique du téléspectateur, à son intelligence et à sa sensibilité, ne trouve pas place sur les chaînes privées. Ce pan entier de l’audiovisuel citoyen n’existe pas en dehors du service public.

L’audiovisuel public est également le diffuseur qui investit le plus dans la webcréation et particulièrement le webdocumentaire, secteur en plein épanouissement. Le secteur public contribue ainsi beaucoup à ce que la toile ne se résume pas à un espace marchand.

Par ailleurs, France 3 régions est porteur d’un tissu de productions audiovisuelles sur tout le territoire. Les antennes régionales représentent dix millions d’euros investis dans la création documentaire, soit 482 documentaires, dont plus de la moitié en coproduction. Les télévisions locales, seules, ne sont pas à même de préserver une production audiovisuelle régionale et dynamique à l’instar de France 3.

Le rôle citoyen de l’audiovisuel public est au cœur des questions de son financement. L’argent étant le nerf de la guerre, les arbitrages budgétaires à venir des pouvoirs publics ne peuvent éluder l’intérêt pour le débat politique, social ou économique de disposer d’un média qui ouvre des perspectives, fonde des discours multiples.

Pour que la parole publique reste audible dans le vacarme de l’hyper-offre, que la création persiste et fédère, il faut repenser son financement. C’est pourquoi, la Scam salue la création d’un groupe de travail parlementaire chargé de réfléchir à l’évolution du financement de l’audiovisuel public. Dans ce cadre, elle remet sur la table sa proposition d’un financement ancré dans la stabilité. Elle propose l’adoption d’un plan sur quatre ans d’augmentation, à raison de 3 € par an de la contribution à l’audiovisuel public, hors inflation. Le montant de cette contribution, en dépit de son augmentation récente de 4 €, reste en dessous de celui de la majorité des contributions équivalentes en Europe. Plus qu’une augmentation, il s’agit avant tout d’une simple mise à niveau après une décennie de blocage.

Il y a lieu de moderniser l’assiette de la contribution audiovisuelle. La télévision n’est plus l’apanage du poste récepteur de salon. Elle s’étend aux nouveaux supports : PC, tablettes, téléphone mobile … Il est déjà dit que la France ne sera pas pionnière en la matière puisque l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède ont déjà adapté leur règlementation à tous les terminaux connectés. Il faut aussi réintégrer les résidences secondaires dans le champ des foyers redevables. Cette proposition va aussi dans la logique d’un alignement sur les régimes européens.

Jean-Xavier de Lestrade
Président de la Scam

> à lire le 8 juin dans le Huffington Post