La deuxième table ronde du colloque « Auteursdevue » consacrée au devenir des auteurs dans l’univers numérique. Une rencontre animée par Antoine Perraud en présence de Sólveig Anspach, Pierre Bellanger, Eric Garandeau, Emmanuel Hoog, Claude-Yves Robin et Benoît Peeters.

* L’auteur du futur… Le devenir des auteurs dans l’univers du numérique
Quelle place l’univers numérique réserve-t-il à l’auteur et à ses droits ? Comment cette notion d’auteur évolue-t-elle, tandis que la Toile transmute les genres (le «webdoc») et transforme chacun en petite unité hollywoodienne à soi-seul : écrivain, secrétaire de rédaction, vidéaste, photographe, iconographe ?… Quel modèle économique viable (et juste ?) pouvons-nous espérer voir émerger (primat de la publicité, de l’abonnement, ou troisième voie à définir) ? Comment appréhender les habitudes et les cultures induites par les innovations techniques, dont l’Ipad s’avère le premier fer de lance ? Face à de tels bouleversements des systèmes et des usages, nous tenterons une analyse concrète de la situation concrète, sans nous priver des vertiges de la prospective…

Une table ronde animée par Antoine Perraud en présence de Sólveig Anspach (auteur, réalisatrice), Eric Garandeau (président du CNC), Emmanuel Hoog (président de l’AFP), Claude-Yves Robin (directeur délégué de France Télévisions) et Benoît Peeters (écrivain).

L'auteur du futur par La_Scam
——————————————————

« On a l’impression de danser sur un volcan » a dit, en guise de préambule, Antoine Perraud qui animait la table ronde sur « L’auteur du futur et le devenir des auteurs dans l’univers du numérique », mêlant auteurs et dirigeants de l’audiovisuel. Au centre des débats : la notion de droit d’auteur, la révolution en marche, et la place des nouvelles écritures.

Emmanuel Hoog, président de l’AFP, estime qu’il n’y a pas d’alternative au droit d’auteur, y compris dans le monde numérique. « Même si cette notion est discutée et chahutée, on n’a pas trouvé mieux que rattacher la rémunération d’un auteur à l’exploitation de son œuvre». Il regrette toutefois que « tout l’effort se focalise sur la dimension juridique et pas assez sur les considérations techniques », soulignant que la Sécurité Sociale réussit à rembourser les soins médicaux de millions de personnes, dans des situations toutes différentes, environ 20 jours après, alors que les auteurs doivent attendre un ou deux ans leur rémunération, avec des difficultés de recoupement.

Sur la question des droits d’auteur des journalistes, Emmanuel Hoog a dit qu’il y était favorable en tant que président de l’Ina (c’est sous sa présidence qu’il y a eu l’accord avec les journalistes de France Télévisions), et il n’a pas changé d’avis depuis qu’il est à l’AFP.

Pour Eric Garandeau, l’époque actuelle relève plus « de révolutions que d’évolutions ». Il évoque « un foisonnement de création peut-être inédit » et « un grand renouvellement du tissu des auteurs », que le CNC se fait un devoir d’accompagner. Le président du CNC a ainsi rappelé la création du Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle en 2005, l’aide aux projets nouveaux médias, dit guichet expérimental, en 2007, et enfin la publication récente du décret web Cosip, qui permet d’ouvrir le compte de soutien aux projets audiovisuels sur Internet.

Constatant que l’écriture du court a beaucoup évolué au contact d’Internet et des applications Smartphone, Eric Garandeau a par ailleurs évoqué la création d’une fête du court métrage, le 21 décembre, sur le modèle de la fête de la musique.

Sólveig Anspach a dit à quel point elle avait aimé réaliser un web-doc pour Médecins du monde et Capa. Elle a aussi relevé la difficulté de faire autre chose que ce qu’on a déjà fait, surtout quand on a eu du succès. « Après Haut les Cœurs (1999), j’ai fait un documentaire aux Etats-Unis sur un condamné à mort (Made in the USA, 2001), mais tout le monde voulait que je fasse Haut les Cœurs 2. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer des choses différentes, et j’essaye de ne pas aller là où on m’attend ».

Marie Mandy
, dans la salle, a abondé dans le même sens : « Proposer des écritures nouvelles, c’est ce qui nous anime toute la journée, mais on nous oppose toujours les mêmes arguments: tu ne l’as jamais fait, ou ça ne correspond à aucune de nos cases ». En réponse aux deux réalisatrices, Claude-Yves Robin, directeur général de France 2, a réaffirmé l’ambition de FTV de développer des nouvelles écritures et des contenus numériques tout en indiquant qu’il fallait « créer l’écrin » : « la télévision fonctionne sur un principe d’habitude et un lien entre les programmes. Il faut trouver des lignes de rassemblement et de similitudes ».

Claude-Yves Robin estime que si le tsunami a déjà eu lieu dans les pays anglo-saxons, la France dispose de quelques atouts pour y résister, et notamment les sociétés d’auteur, le CNC et la frontière linguistique. Selon lui, l’Internet a permis de voir fleurir trois monopoles : Google qui détient 90% du marché de la navigation, Facebook 90% des réseaux communautaires et Apple 90% des applications mobiles. Le quatrième, Netflix, est en train de naître pour la VOD par abonnement, avec déjà 23 millions d’abonnés (8$ par mois pour un large catalogue de films).

Dans ce contexte, le directeur général de France 2 indique que « France TV entend continuer à capitaliser sur les auteurs français et les programmes français, à développer des services domestiques et à construire un éco-système qui soit protecteur des auteurs ». Face à une société où se manifeste « une alliance entre ultra-libertaires et ultralibéralistes », le groupe public appelle ainsi à « une autre alliance ».

Benoit Peeters regrette que de nouvelles formes de création, comme le journalisme citoyen évoqué par Delphine Minoui dans son entretien avec Pascal Ory, provoquent un repli dans la définition de l’auteur : « on ne peut pas mener un combat corporatiste. Car l’auteur et le corporatisme sont incompatibles. Il faut redéfinir la notion d’auteur dans une acceptation plus accueillante, plus généreuse, sinon on sera juste une caste de vieux qui lutte pour ses privilèges ».

A propos des créations polymorphes suscitées par l’Internet, Benoit Peeters estime que « l’auteur du futur est dans la continuité stricte de l’auteur du passé » et qu’il ne faut pas laisser croire que la technique détermine la « transmédialité ». « On n’a pas attendu Internet pour que les auteurs s’expriment dans plusieurs formes d’art. Les plus grands créateurs ont toujours su passer d’une forme à l’autre ».

Il a l’impression toutefois que le modèle qu’il appelle wagnéro-proustien est en train de vaciller. « L’auteur n’a plus le temps de s’y consacrer et le lecteur non plus. C’est plus profond que le zapping généralisé, c’est plutôt l’acceptation de l’imaginaire, du monde d’un autre qui est en train de disparaître ».

Enfin Benoit Peeters s’est montré très pessimiste sur les conditions d’existence des auteurs, « dont la situation se fragilise constamment ». Le marché selon lequel « je te donne de la visibilité et tu renonces à beaucoup de choses » est selon lui de mise. « Au bout de 30 ans, on continue de me dire “ça vous fera des cartes de visite, ça vous fera connaître”, mais à un moment il faut que cette reconnaissance devienne sonnante et trébuchante. L’auteur d’un livre est toujours le dernier à être payé. Vous seriez étonnés de voir à quel point les auteurs les plus renommés dans tous les domaines vivent de façon difficile. Aujourd’hui, les auteurs sont honorés mais misérables ».

Synthèse rédigée par Béatrice de Mondenard