La Scam poursuit avec la journaliste Emmanuelle Miquet son tour de France par territoire. Rendez-vous cette fois dans la région Grand Est, quatrième contributrice au genre en France, avec les subventions du conseil régional et celles de l’Eurométropole de Strasbourg cumulées.

Le début de l’année 2023 a marqué une « véritable avancée » pour la Safire Grand Est, l’association des auteurs, autrices, réalisateurs et réalisatrices du territoire, avec le vote par l’Eurométropole de Strasbourg, en mars, de l’aide au concept demandée par les auteurs et autrices après le Covid, en soutien à une profession fortement fragilisée.

La région Grand Est et le documentaire audiovisuel

Sixième fonds d’aide à la création, en 2022, la région Grand Est s’est hissée quatrième financeur du documentaire audiovisuel avec ses deux guichets, le conseil régional et l’Eurométropole de Strasbourg. Le premier a alloué au genre 1 213 790 euros (19 % de l’enveloppe totale de son fonds de soutien, incluant le contrat d’objectifs et de moyens et 35 % du nombre de projets). Les étapes de la production représentent 89 % des aides attribuées et le développement 11 %. S’y ajoutent quatre soutiens accordés au stade de l’écriture pour un montant de 16 000 euros, non comptabilisés par le Panorama des interventions territoriales dans le cinéma et l’audiovisuel de Ciclic pour des raisons de fléchage de la région dans sa transmission des données. Le règlement de la collectivité propose un dispositif commun (aide à l’écriture cinéma, audiovisuel et nouveaux médias), au sein duquel le montant de la subvention varie en fonction du format (inférieur ou supérieur à 60 minutes). En les prenant en compte, la part de l’écriture s’établit à 1,3 % de l’enveloppe documentaire et à 5,3 % des projets. L’Eurométropole de Strasbourg a attribué 200 000 euros (21 % de son fonds de soutien) dans 13 documentaires (34 % des aides), en production. En 2023, son soutien s’est élargi à l’écriture grâce à la toute nouvelle aide au concept.

1 429 790 €

aide à la création

Renforcement des actions des collectivités territoriales

Couvrant tous les genres de l’audiovisuel et du cinéma, le dispositif a pour objectif de soutenir l’origine du processus de création et de mener des recherches en amont de l’écriture du scénario, décrit le règlement. Il est accessible aux résidantes et résidants eurométropolitains expérimentés ou pas, avec une attention particulière aux « candidates et candidats émergents et issus de quartiers prioritaires ». C’est une « passerelle vers l’aide à l’écriture », résume la Safire.

Pour l’association, qui a porté l’aide au concept du début à la fin de sa mise en place, l’avancée se situe à deux niveaux. « D’une part, il s’agit de la seule ligne budgétaire culturelle qui a été ajoutée au niveau de l’Eurométropole, alors que la tendance générale est plutôt à la baisse des budgets de la culture. D’autre part, ce soutien va permettre à l’auteur de se projeter sur quelque chose d’ouvert, presque de l’ordre de l’embryon, contrairement à l’aide à l’écriture qui, aujourd’hui, que ce soit au CNC ou dans les territoires, n’en est plus vraiment une. Les exigences pour déposer les dossiers sont telles qu’on pourrait presque tourner le film », observe la Safire.

L’aide au concept a été pensée « pour mettre le pied à l’étrier à tous les autres dispositifs, régionaux et nationaux, et pour donner le temps de travailler aux auteurs émergents et à ceux plus chevronnés », appuie le département audiovisuel et cinéma de l’Eurométropole de Strasbourg. Son accompagnement s’articule en deux volets sur un an. Outre l’attribution d’une bourse pour soutenir le développement du projet, sera proposé un mentorat comprenant des ateliers collectifs pour les autrices et auteurs émergents et un suivi individuel pour les autres. L’enveloppe globale s’établit à 100 000 euros en 2023, avec l’ambition de soutenir 10 projets dotés chacun d’une bourse de 5 000 euros maximum. À partir de 2024, en année complète, l’objectif est de monter à 15 projets sélectionnés en deux sessions. Il y en avait une seule en 2023.

Avec l’aide au concept de l’Eurométropole et l’aide à l’écriture de la région, on a aujourd’hui un dispositif de mise en route des films qui est complet. 

La Safire, Société des auteurs indépendants de la région Est

La mise en place de ce dispositif, soutenu au sein de l’Eurométropole par Murielle Fabre, vice-présidente chargée de l’action culturelle, de la lecture publique, de l’audiovisuel et du cinéma, renforce l’action de la collectivité territoriale dont le fonds de soutien à la création était jusque-là circonscrit à la production (cf. Encadré Chiffres). Constatant que l’écriture et le développement restent les étapes les moins bien financées, et que la crise sanitaire a fragilisé « davantage le statut d’auteur », l’Eurométropole a souhaité s’engager en complément et aux côtés de la région Grand Est dont le fonds de soutien intervient déjà à toutes les étapes. « Avec l’aide au concept de l’Eurométropole et l’aide à l’écriture de la région, on a aujourd’hui un dispositif de mise en route des films qui est complet », décrit la Safire.

Des évolutions significatives du côté de la région

Du côté de la région, l’année 2022 s’est distinguée par plusieurs évolutions déjà actées qui figureront dans sa convention triennale tripartite pour la période 2023-2025 dont elle espère le vote en septembre : la création du Bureau des Images (BDI), le retour de la gestion complète des aides à l’écriture par la région ou encore l’émergence du prix CinEuro pour le développement de coproductions transfrontalières, qui succède au fonds d’aide au codéveloppement transfrontalier de la Grande Région. .

Le prix Cineuro est attribué une fois par an en fiction et en documentaire. Concernant le documentaire, il offre de nouvelles opportunités de travailler sur des écritures différentes, font remarquer les services de la région. Sa dotation de 10 000 euros pouvant être complétée par un bonus de 5 000 euros après deux ans, si l’avancement du projet est jugé satisfaisant.

Nous avons sanctuarisé globalement le budget de la culture, ce qui n’est pas le cas dans toutes les régions. 

Martine Lizola, présidente de la commission culture et mémoire du conseil régional et présidente du Bureau des Images

Ces changements « disent la volonté de la région Grand Est de renforcer la filière image et de lui apporter plus d’ingénierie pour la professionnaliser encore davantage », souligne, quant à elle, Martine Lizola, présidente de la commission culture et mémoire du conseil régional et présidente du Bureau des Images. En 2023, « nous avons sanctuarisé globalement le budget de la culture, ce qui n’est pas le cas dans toutes les régions », ajoute-t-elle. Pour ne parler que du fonds de soutien régional, il s’élève à près de 6 millions d’euros (avec l’apport du CNC) dont 685 000 euros dédiés à l’émergence et à l’accompagnement des talents, au travers de tous les dispositifs d’aides à l’écriture et au développement. Les chiffres de 2022 (cf. Encadré Chiffres) ne reflètent pas le « taux » d’accompagnement du documentaire en écriture par la région, précise la collectivité. Les années précédentes, cette étape avait été davantage soutenue, poursuit-elle, et en termes de dépôt, il y a eu davantage de dossiers reçus en 2023 en une seule session que sur la totalité de 2022.

Parallèlement à l’aide à l’écriture directe pour les auteurs et les autrices, la région accompagne la résidence de l’écriture à l’image, à Saint-Quirin. Depuis 2021, cette résidence est dédiée notamment aux autrices et auteurs régionaux de documentaire. Cette décision a été prise pour compenser la sélectivité grandissante du dispositif et la baisse du nombre de places par rapport à ce que la région espérait, explique celle-ci. La résidence de Saint-Quirin est l’un des points clés du développement de la filière en région, appuie l’Apage, l’association des producteurs audiovisuels du Grand Est.

Une nouvelle organisation bénéfique

Lancé le 1er janvier, le Bureau des Images est une nouvelle structure 100 % vouée à l’audiovisuel et au cinéma. Son périmètre comprend l’accueil des tournages ainsi que certaines des missions auparavant du ressort de l’Agence culturelle Grand Est et de Grand E-Nov+, l’agence chargée de l’innovation et de la prospection internationale. Avec cette nouvelle organisation, les aides à l’écriture de la région, précédemment instruites au sein de l’Agence culturelle Grand Est, sont depuis cette année à nouveau gérées par la région, au sein de comités par genres, ce qui n’était pas le cas avant. Cette évolution est une progression très satisfaisante pour les autrices et les auteurs de documentaires. Jusque-là, leurs projets se trouvaient « en concurrence directe avec les fictions et les commissions étaient en majorité composées de professionnels de ce genre, ce qui peut expliquer le peu de documentaires initiés », avance la Safire. Dorénavant, les dossiers seront jugés par leurs pairs.

Par ailleurs, la plateforme de VOD régionale gratuite Noozy, qui était administrée par Vosges TV, est désormais gérée en statut associatif par le BDI. « Nous attendons de Noozy qu’elle soit, d’une part, la vitrine de la production audiovisuelle du Grand Est et, d’autre part, la plateforme du documentaire », expose Martine Lizola qui fait état d’un budget de fonctionnement annuel de 400 000 euros. En attente de conventionnement de service de médias audiovisuels à la demande (Smad), à l’Arcom, la plateforme a néanmoins été incluse dans le contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2023-2025 dont la signature est imminente. Elle rejoint ainsi Moselle TV (ex-Vià Moselle TV), Vosges TV et Canal 32. En revanche, Alsace 20, devenue BFM Alsace depuis son rachat par le groupe Altice Media, n’en fait plus partie.

L’aide au concept est aussi née du constat qu’il n’y a plus de vivier sur le territoire, depuis près de dix ans. C’est dramatique de ne plus voir de jeunes émerger. 

La Safire

En l’absence du statut de Smad, qui permet aux producteurs de déclencher le soutien sélectif et automatique au CNC, la région a prévu d’allouer à Noozy un montant d’intervention limité pour les coproductions en année 1, dans le cadre du COM. L’essentiel de l’enveloppe a été réparti sur les trois chaînes locales aux côtés desquelles Noozy pourra apporter un complément du financement. Intégrer Noozy dans le dispositif permettra également que la plateforme devienne une sorte de replay centralisé pour l’ensemble des programmes financés via le COM (documentaires et courts-métrages), à l’issue de leur diffusion linéaire, en plus des achats et des productions internes réalisées par Noozy.

Concernant le BDI, son statut associatif en fait une structure intégrant pleinement dans ses instances les professionnels du territoire, relève la région. La Safire détient un siège au sein du bureau au même titre que l’Apage et les autres organisations, aux côtés de l’élue Martine Lizola, sa présidente. « Nous serons désormais en prise directe avec le politique ce qui nous permettra d’être dans un véritable dialogue, en continuant à faire des propositions », commente la Safire. Les autrices et les auteurs de documentaire pensent en particulier au renouvellement des générations, dans les prérogatives du BDI, sujet pour lequel il existe un « très gros problème dans le Grand Est » et auquel ils sont « très sensibles ».

« Ce bureau est censé aiguiller et proposer des choses à cette nouvelle génération qui pose énormément de questions sans savoir vers qui se tourner. La Safire remplit cette fonction, mais disposer d’un outil officiel est très important pour les auteurs », insistent ces derniers. « L’aide au concept est aussi née du constat qu’il n’y a plus de vivier sur le territoire, depuis près de dix ans. C’est dramatique de ne plus voir de jeunes émerger », poursuit la Safire.

Avec ce nouveau dispositif, elle espère relancer la dynamique de la région autrefois générée par le master en documentaire auquel a succédé un master de coproductions européennes à l’université de Strasbourg. « Celui-ci n’a rien apporté à la filière locale, alors que précédemment, des gens venaient des quatre coins du monde et se sont même parfois établis ensuite dans notre région », poursuit la Safire. Ce master est remplacé cette année par un master d’écriture, « mais il manque à cette région une vraie formation au cinéma et à l’audiovisuel, de l’écriture à la réalisation », selon la Safire.

  • 88 aides

    à la création
    en 2022

  • 16 K€

    pour l'écriture (Région seule)

  • 129,5 K€

    pour le développement (Région seule)

  • 1284,3 K€

    pour la
    production

Une politique éditoriale peu ambitieuse au sein des chaînes locales

La Safire identifie un autre point faible : « un appauvrissement des diffuseurs ». L’association pointe le manque de diversité concernant France 3 Grand Est, non signataire du COM, qui « a réduit drastiquement les documentaires de patrimoine et d’histoire – comme dans les autres antennes régionales – même si, depuis quelques mois, des films historiques ont pu revoir le jour ».

Plus largement, les autrices et les auteurs relèvent l’absence de « politique éditoriale ambitieuse et ouverte sur le monde » en matière de documentaire de création. « Le COM redémarre certes, mais les films dits fragiles ou de création ne trouvent plus forcément une attention souhaitée », relève la Safire. « Ils ont du mal à exister, malgré une obligation posée par la région mais qui n’est pas quantifiée. Il serait nécessaire d’imposer des “quotas” pour ne plus être à la merci de commissions irrégulières dans la diversité des choix », estime l’association. Elle rappelle que, par le passé, Vosges TV a obtenu de nombreuses Étoiles de la Scam et sélections dans les festivals nationaux et internationaux avec ses coproductions qui se sont tournées dans le monde entier. Ces derniers temps, la chaîne a pris un nouveau tournant.

La dynamique est plutôt favorable mais ce qui pèche dans notre région est la possibilité de faire des films différents.

La Safire

En résumé, « nous avons des mécanismes qui nous permettent de faire nos films avec deux collectivités qui financent fortement l’audiovisuel, et une vraie politique de production et d’aide au développement du territoire via le nouveau Bureau des Images. La dynamique est plutôt favorable mais ce qui pêche dans notre région est la possibilité de faire des films différents. Les écrans viennent à manquer ». Dans ce contexte, Noozy devient un enjeu. « L’ambition est qu’éditorialement, elle devienne quelque chose d’intéressant et de quasi unique comme le sont les plateformes KuB et Tënk, car le documentaire de création est en souffrance ici comme ailleurs », constate la Safire.

Cette dernière continuera à faire entendre sa voix, comme elle le fait depuis ses débuts, en œuvrant à la mise en place de différentes aides telles que la production sans diffuseur. Nommé « Œuvre indépendante de tout format », ce soutien « assez rare dans les régions », souligne la Safire, permet d’obtenir 25 000 euros pour un film qui n’a pas de diffuseur et qui peut ainsi quand même exister.

Méthodologie des enquêtes de la Scam pour un état des lieux du documentaire en région

Ces focus restent circonscrits au seul documentaire audiovisuel (donc hors court et long métrage). Ils proposeront une photographie quantitative et qualitative de chaque région, à travers la parole des auteurs-réalisateurs et autrices-réalisatrices qui vivent et travaillent dans ces territoires. S’y exprimeront également les points de vue des autres acteurs animant ces filières régionales.

Les chiffres clés relatifs à la région Grand Est sont issus des données collectées par l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel publié chaque année, dans le cadre de sa convention de coopération triennale État-région-CNC. Le périmètre des collectivités est identique à celui du Panorama, qui prend en compte la région, les départements, les eurométropoles, les métropoles et les villes, s’il y a lieu. De la même manière, les statistiques se concentrent sur les aides délivrées par la région, le premier niveau d’intervention. Les investissements de la région agrègent ceux octroyés via le ou les contrats d’objectifs et de moyens signés entre la collectivité et le ou les diffuseurs, quand ils existent. Les statistiques autres que celles de Ciclic qui pourraient être citées sont dans tous les cas sourcées. (Le choix a été fait de ne pas comparer les chiffres de l’année 2021 et ceux de l’année 2020, sauf cas particulier, l’année de la pandémie ayant été marquée par l’attribution d’aides exceptionnelles, dans certaines régions, par définition non reconduites en 2021.)

Remerciements : Pauline Martin et Pierre Dallois à l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire et la Boucle documentaire.

Série Territoires et Création

photo Pascal Bondis

#1 – L’Occitanie

Blois - photo Julia Casado
Blois - photo Julia Casado

#3 – Centre-Val de Loire

Daniel Hourtoulle
photo Daniel Hourtoulle

#4 – Grand Est