La Scam poursuit avec la journaliste Emmanuelle Miquet son tour de France par territoire. Direction la région des Hauts-de-France, marquée en 2023 par la mise en place d’un fonds de soutien à la création par le département de la Somme et de nouveaux règlements à Pictanovo qui ne font pas tous l’unanimité chez les créateurs régionaux.

La région Hauts-de-France et le documentaire audiovisuel

Deuxième fonds régional d’aide à la création audiovisuelle et cinématographique en 2022, derrière l’Île-de-France, la région des Hauts-de-France est la troisième contributrice au documentaire audiovisuel, derrière la Corse, et la région francilienne, en tête. Son enveloppe atteint 1 491 085 euros en intégrant les deux contrats et d’objectifs et de moyens (COM) signés entre la région et les chaînes locales Wéo ainsi que BFM Grand Lille. Leur investissement cumulé s’établit à 423 250 euros, dans 23 projets à l’étape de la production (sur un total de 36 aidés, soit 64 %). Ce montant via le COM est le plus élevé de toutes les collectivités territoriales devant la Bretagne. L’intervention du fonds de soutien régional se répartit entres les aides à la production (83,2 % du total du budget total), le développement (8,5 %) et l’écriture (8,3 %).

1 491 085 €

aide à la création

De nouveaux règlements adoptés par Pictanovo

Au terme de près de deux ans d’une concertation interprofessionnelle mouvementée, Pictanovo, l’association chargée de mettre en œuvre et de gérer financièrement le fonds de soutien de la région des Hauts-de-France, a adopté en juillet 2023 de nouveaux règlements, en vigueur depuis le mois de septembre. Le chantier avait été ouvert pour faire évoluer des textes modifiés à la marge ces dernières années, en tenant compte des demandes de la filière audiovisuelle et cinématographique.

Pour les auteurs et les autrices, l’une des évolutions les plus notables porte sur le fléchage de l’aide à l’écriture, qui est indirecte dans cette région. Le statut d’association loi 1901 de Pictanovo permet en effet à l’organisme de rémunérer une personne morale, soit la société de production qui est donc le bénéficiaire de l’aide, et non une personne physique (l’auteur).

L’aide à l’écriture est maintenant intégralement destinée aux auteurs

Safir Hauts de France

Auparavant, le règlement stipulait que « 60 % du budget » de l’aide à l’écriture devaient être consacrés à la rémunération des auteurs. Dorénavant, le fléchage prévoit que « 100 % de l’aide à l’écriture octroyée par Pictanovo » devront être consacrés à leur rémunération. Comme c’était déjà le cas précédemment, le producteur « doit obligatoirement présenter un contrat d’option et/ou de cession de droits d’auteur concernant l’œuvre et ce dès le dépôt du dossier ».

« L’aide à l’écriture est maintenant intégralement destinée aux auteurs », résume la Safir Hauts-de-France, société des auteurs et réalisateurs indépendants, qui représente tous les répertoires.

Elle a porté cette demande conjointement avec Rhizom, l’association des producteurs et des productrices audiovisuels, cinéma et nouveaux médias dans les Hauts-de-France, à défaut de pouvoir obtenir une aide à l’écriture directe, pour les raisons évoquées précédemment.

Des critères de territorialité insuffisants pour le documentaire

L’autre évolution majeure concerne les critères de territorialité nécessaires pour recevoir des aides des Hauts-de-France.  Sur ce point, les demandes des professionnels n’ont pas été totalement entendues.

La Safir et Rhizom ont défendu un modèle institué dans de nombreuses régions c’est-à-dire obtenir au minimum pour être éligible, deux critères sur les quatre établis : le lieu de résidence de l’auteur ou du réalisateur basé dans les Hauts-de-France ; celui de la société de production basé sur le territoire ; l’intérêt du sujet pour la région ; une dépense a minima sur le territoire de 160 % de la somme versée par Pictanovo. L’enjeu de cette proposition était que « le fonds continue à être favorable à la filière régionale et la conforte, ce qui a toujours été l’esprit des règlements », explique la Safir.

À l’arrivée, les textes se sont dans l’ensemble considérablement assouplis, estiment les professionnels. « Il y a une volonté, de créer de l’emploi en région, mais qui n’est pas encadrée par un minimum d’exigences de territorialité en dehors du court métrage » expose la Safir. Le règlement du court métrage stipule bien en effet qu’un critère au minimum est à respecter parmi les trois suivants : auteur/réalisateur, scénariste, coauteur ayant sa résidence fiscale en Hauts-de-France ; producteur, coproducteur délégué disposant d’un établissement stable dans la région ; un montant minimal de dépenses en Hauts-de-France de 130 % de l’aide attribuée.

En revanche, pour le documentaire, comme pour la fiction et l’animation, le texte n’est pas aussi précis, ce que regrette la Safir. Il mentionne que « seront notamment pris en compte les critères suivants » : l’expérience » des auteurs / réalisateurs, scénariste, coauteur, et/ou celle du ou des producteurs délégués ; le projet s’appuyant sur des caractéristiques géographiques, historiques, culturelles, sociales ou économiques du territoire ; et un tournage en région significatif. Il indique aussi que « le comité de lecture prendra en considération l’implication régionale que les projets d’œuvres porteront en termes d’emplois et de retombées économiques dans la région des Hauts-de-France, dans les limites autorisées par le RGEC » (le règlement général d’exemption par catégorie de la Commission européenne).

La raison de son choix est « très simple », répond Godefroy Vujicic, directeur général de Pictanovo. « Nous avons eu une alerte au niveau des services juridiques de la région et de l’Europe stipulant que les quatre critères envisagés n’étaient pas conformes au RGEC, donc aux règles européennes de libre installation et de libre concurrence dans l’espace Schengen ».

« Cet argument nous a étonné car ces quatre critères s’appliquent dans d’autres régions », commente la Safir.

Pour cette dernière, « le nouveau règlement ouvre la porte à des interprétations et à une certaine subjectivité autour de cette territorialité ». L’une de ses craintes est « que Pictanovo devienne un guichet comme un autre » et que « la facilité d’accès au fonds de soutien documentaire entraîne des dépôts très opportunistes, au détriment des dossiers portés avec des auteurs de la région ». « Nous ne demandons pas un passe-droit mais des garde-fous afin de prendre en compte la fragilité de la filière documentaire et son besoin d’être soutenue », détaille la Safire.

Ses interrogations vont au-delà de la problématique des auteurs et autrices. Il ne faudrait pas que soit remise en cause la philosophie originelle du fonds, créé pour développer un tissu professionnel régional. Pictanovo s’est d’ailleurs engagée sur une clause de revoyure afin de mesurer l’impact des nouveaux textes sur l’aide à l’écriture et les questions de territorialité.

Soutenir les auteurs et les producteurs locaux, c’est fixer les droits des œuvres sur le territoire, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on accueille un tournage initié à l’extérieur de la région. Cela permet aussi de résister à la concentration du secteur en Île-de-France.

Rhizom, association des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel en Hauts-De-France

Stimuler l’émulation au sein de la filière locale

« Il n’y a aucune volonté de notre part de fragiliser l’écosystème régional des auteurs et des producteurs, bien au contraire », réagit Godefroy Vujicic. Il souligne que dans les Hauts-de-France, des représentants des organisations professionnelles peuvent assister aux comités de sélection des dossiers. S’ils n’ont pas le droit de vote, ils ont la possibilité d’apporter avant celui-ci des informations complémentaires relatives à leurs adhérents. Ce fonctionnement, qui n’a rien de systématique au sein des autres collectivités, est une « énorme plus-value », juge Pictanovo.

Nous ne sommes pas un fonds ayant vocation à soutenir uniquement des projets régionaux ou des entreprises régionales. Nous n’en aurions pas le droit.

Pictanovo

L’ambition de Pictanovo est de continuer à « stimuler l’émulation au sein de la filière locale tout en conservant une attractivité pour qu’un maximum de projets de qualité arrive sur le territoire ». Aux côtés des auteurs et des producteurs, il existe un important tissu de techniciens, rappelle Godefroy Vujicic. Les ambitions des Hauts-de-France en matière d’attractivité dépassent le cadre national. La région a obtenu cinq dossiers lauréats (sur 68) lors de l’appel à projets de « La Grande Fabrique de l’image », initié dans le cadre de France 2030 pour des studios de tournage, de production numérique et de formation en cinéma et audiovisuel, afin de faire de la France un pays leader en Europe dans ces domaines.

Exceptée l’évolution récente des règlements sur la territorialité « la région a historiquement toujours bien soutenu le documentaire et bien accompagné la filière », estime la Safir. « Le doublement des fonds de Pictanovo en 2017 a constitué une bonne surprise car, automatiquement, ce sont plus d’aides à l’écriture, au développement et à la production qui ont été distribuées », relève l’association. « De plus, la mise en place du contrat d’objectifs et de moyens et les coproductions qu’il permet de générer (cf. Encadré chiffres), a entraîné une professionnalisation des auteurs et autrices, réalisateurs et réalisatrices de la région », souligne-t-elle. La Safir met en avant la variété des aides proposées dans le fonds de soutien, citant en particulier le fonds Emergence, « quasiment unique en France ». Il a vocation à accompagner les premiers pas des auteurs et soutenir les œuvres issues du monde associatif, notamment dans le secteur du documentaire. En 2022, il a bénéficié à cinq projets pour une enveloppe de 47 835 euros, selon les données de Pictanovo.

  • 94 aides

    à la création
    en 2022

  • 124 K€

    pour l'écriture

  • 126 K€

    pour le développement

  • 1 241 K€

    pour la
    production

Trois fonds d’aide pour le documentaire

L’autre porte d’entrée pour soutenir le genre est le fonds d’aide au programme éditorial d’écriture et de développement (95 000 euros investis dans 13 projets l’an dernier), ainsi que le fonds documentaire dont le montant s’est élevé à 977 000 euros attribués à 54 projets audiovisuels et cinématographiques, détaille Pictanovo : 14 en écriture ; 8 en développement et 32 en production. Près de 60 % de ces 54 aides sont allés à des sociétés de production régionales, pointe la structure, et « 53 auteurs-réalisateurs de la région en ont bénéficié, sachant que parfois il y a plusieurs bénéficiaires sur un seul et même projet ».

« Au total, via ces trois fonds, environ 1,2 million d’euros ont directement été fléchés sur le documentaire, auxquels vient s’ajouter le COM », insiste Godefroy Vujicic, dont l’investissement communiqué est légèrement différent de celui publié dans le Panorama de Ciclic (cf. Encadré chiffres). Le budget 2023 dévolu au genre se situe à un niveau similaire à 2022, indique-t-il. L’enveloppe d’aide à l’écriture et au développement documentaire a même été « réabondée de 25 000 euros », lors du dernier conseil d’administration, pour répondre à « l’inquiétude des auteurs » sur le montant qui « ne paraissait pas suffisamment important pour accompagner les nouveaux projets à venir en écriture et en développement », détaille-t-il encore.

En parallèle, le conseil départemental de la Somme a lancé en 2023 un fonds d’aide à la création audiovisuelle et cinématographique, visant à soutenir des projets promouvant le patrimoine samarien et les talents locaux. Destiné aux sociétés de production, réalisateurs et auteurs disposant d’une existence juridique, ainsi qu’aux associations, ce fonds intervient en écriture, avec un montant plafond de 4 000 euros en production et en diffusion dans le département. Les champs éligibles sont le court et le long métrage, la série TV et la websérie d’animation, de fiction et de documentaire. Une enveloppe de 121 000 euros sera allouée à la première des deux sessions annuelles, qui était attendue en septembre.

« Le fruit de la politique culturelle menée dans les Hauts-de-France est productif », constate Godefroy Vujicic.

En outre, le dirigeant met en exergue des festivals locaux porteurs pour la filière documentaire : le Festival international de grand reportage d’actualité (Figra), qui inclut le documentaire de société, à Douai, le Festival 2 Cinéma de Valenciennes, et le Festival international du film d’Amiens (Fifam), organisateur de résidences d’écriture, à l’Abbaye de Saint-Riquier, dont Pictanovo est désormais partenaire. Les sessions de pitchs (en court métrage, fiction et documentaire) de Cinémondes, le festival international du film indépendant de Berck-sur-Mer, contribuent également « à la dynamique générale visant à se déployer, grandir et se structurer », considère Pictanovo.

Avec le tissu d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs en région extrêmement riche et qualitatif, on ne peut que continuer à porter des initiatives qui concourront à faire croître et faire monter en puissance cet écosystème.

Godefroy Vujicic

Une des missions actuelles de Rhizom est justement de s’adosser aux manifestations régionales pour « rendre visible le travail des professionnels locaux du documentaire et le mettre en valeur », explique l’association des producteurs. Parmi les initiatives les plus avancées, deux journées professionnelles devraient être proposées dans le cadre de la 19e édition de Cinémondes, attendue du 11 au 15 octobre. Une table-ronde intitulée « Filmer les migrations », initiée par la Safir, y est prévue samedi 14 octobre, entre autres. Au Fifam, qui se déroulera du 10 au 18 novembre, l’ensemble des professionnels du documentaire devrait aussi participer à une table ronde sur la diffusion des films.

La région des Hauts-de-France dispose aujourd’hui de deux COM, l’un avec

Wéo et l’autre avec BFM Grand Lille, qui ont contribué à la structuration de la filière documentaire, on l’a vu. À l’occasion de leur renégociation, il a été question qu’un troisième COM soit conclu avec France 3 Hauts-de-France, à partir de 2023. À l’heure de notre bouclage, un contrat avec la chaîne n’était pas d’actualité pour la région, a fait savoir cette dernière, sans plus de détails. Dans la perspective de ce nouveau COM, 100 000 euros avaient été provisionnés sur l’enveloppe globale pour France Télévisions. « Que vont-ils devenir ? », interroge la Safir. « Seront-ils définitivement perdus ou seront-ils répartis sur les deux autres chaînes, ce que nous demandons », poursuivent les auteurs, qui soulignent que la question se pose d’autant plus que le dernier comité relatif au COM en 2023 se réunira le 6 octobre.

 Pour autant, pointe la Safir, le dynamisme des Hauts-de-France ne doit pas éluder la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les auteurs et autrices. « Comme au niveau national, on assiste ici à une paupérisation croissante de nos métiers, notamment due au fait que le montant des aides par projet (et les apports des chaînes régionales notamment) n’a pas changé depuis pratiquement dix ans, malgré l’augmentation générale des coûts », décrit l’organisation professionnelle. Le doublement du fonds en 2017 a en effet fait progresser le nombre de projets aidés mais pas le montant par projet.

Ce constat s’accompagne d’un « sentiment un peu général » chez ses adhérents du « syndrome du plafond de verre ». « Lorsqu’on est auteur-réalisateur en région, on collabore avec des producteurs de la région, on fait nos films avec les chaînes régionales, mais dès qu’on essaie de travailler avec le national, c’est un peu plus complexe. On a l’impression d’avoir une étiquette ‘Hauts-de-France’ qu’on a du mal à décoller », développe la Safir. « Et lorsqu’on collabore avec des producteurs parisiens, on est bien souvent ramenés à notre région, parce que leur intérêt est de nous avoir pour déposer une aide à Pictanovo et solliciter une chaîne régionale ».

Méthodologie des enquêtes de la Scam pour un état des lieux du documentaire en région

Ces focus sont circonscrits au seul documentaire audiovisuel (donc hors court et long métrage). Ils proposent une photographie quantitative et qualitative de chaque région, à travers la parole des auteurs-réalisateurs et autrices-réalisatrices qui vivent et travaillent dans ces territoires. S’y expriment également les points de vue des autres acteurs animant ces filières régionales.

Les chiffres clés relatifs à la région Hauts-de-France sont issus des données collectées par l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel publié chaque année, dans le cadre de sa convention de coopération triennale État-région-CNC. Le périmètre des collectivités est identique à celui du Panorama, qui prend en compte la région, les départements, les eurométropoles, les métropoles et les villes, s’il y a lieu. De la même manière, les statistiques se concentrent sur les aides délivrées par la région, le premier niveau d’intervention. Les investissements de la région agrègent ceux octroyés via le ou les contrats d’objectifs et de moyens signés entre la collectivité et le ou les diffuseurs, quand ils existent. Les statistiques autres que celles de Ciclic qui pourraient être citées dans l’article sont dans tous les cas sourcées.

Remerciements : Pauline Martin et Pierre Dallois à l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire, les auteurs et autrices de la Boucle documentaire.

Série Territoires et Création

photo Pascal Bondis

#1 – L’Occitanie

Blois - photo Julia Casado
Blois - photo Julia Casado

#3 – Centre-Val de Loire

Daniel Hourtoulle
photo Daniel Hourtoulle

#4 – Grand Est

photo Franziska Hannemann

#5 – Hauts de France