La Scam vous convie à la Nuit de la radio 2025, une expérience unique d’écoute collective. Depuis 2001, la Nuit de la radio propose de (re)découvrir des extraits mythiques de l’histoire de la radio, issus des collections de l’INA.
Construite cette année sur le thème En d’autres langues, ce programme sonore a été écrit et réalisé par Antoine Chao.
Un événement LaScam en partenariat avec l’INA.
Durée du programme : 1h15
Faire entendre et comprendre d’autres langues à la radio est un exercice de réalisation difficile et un enjeu politique de taille. Pas de sous-titrage, tout doit passer par le sonore, pour donner à entendre la prosodie de l’autre langue tout en la donnant à comprendre, quand on le juge nécessaire. Des tentatives de réalisation radiophonique que des auteurices comme Yann Paranthoën et Kaye Mortley ont explorées et pratiquées avec ingéniosité, en évitant le voice over utilitaire de l’info.
Faire vivre les langues minoritaires, les faire exister et résonner avec leurs imaginaires, leurs cultures et leurs forces d’expression, relève aujourd’hui d’un acte de résistance face aux langues hégémoniques et leurs modèles politiques et économiques dominants, pour ériger une tour de Babel radiophonique.
Les traducteurs et interprètes s’inquiètent, à juste titre, de l’arrivée de l’IA dont les traductions automatiques désincarnées menacent d’anéantir une profession au bénéfice d’un langage machine inhumain, outil potentiel de désinformation et d’instrumentalisation.
Su toki yerguen – Lève ton arme et lutte*
Comme le peuple Mapuche le fait pour défendre sa culture, levons nos armes, micros et antennes, pour défendre la pluralité des langues et des cultures.
1/ La note du traducteur – 44’’
Les chemins de la connaissance – France Culture
Production : Emmanuel Driant
Première diffusion le 12 février 1985
Dès 1985, l’époque est à la surinformation, dans laquelle la question de la traduction se pose. Et avec elle, des enjeux théoriques importants.
2/ L’espace et l’imaginaire – 38’’
La tête au carré – France Inter
Production : Mathieu Vidard
Réalisation : Violaine Ballet
Première diffusion le 17 novembre 2011
Un petit pas pour l’Homme, un bond de géant pour l’Humanité : probablement l’une des traductions les plus connues. Mais ce 21 juillet 1969, ce ne sont pas les seules paroles prononcées par Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune… Comment traduire en direct ces premiers mots envoyés de l’espace ?
3/ Naucelles en Rouergue – 1’07’
L’heure occitane
Production : André Lagarde, André Subra, Naéla Lobériac
Réalisation : Jacques Toulza
Première diffusion le 1er janvier 1975
Une lune occitane mise en poème.
4/ L’espace et l’imaginaire – 2’21’’
Avec Alain Rey
∞ extrait n°2
5/ Soucoupe en bois – 2’07’’
Là-bas si j’y suis – France Inter
Production : Daniel Mermet
Journaliste : Anne Riou
Première diffusion le 26 février 2004
6/ Le ciel de Kherson, un Nouvel An sous les bombes – 3’06’’
L’expérience – France Culture
Production : Aurélie Charon
Réalisation : Tony Hayere, Gilles Mardirossian
Première diffusion le 6 avril 2024
Dans Kherson sous les bombes, le téléphone portable fait office de traducteur simultané pour Tony Hayere, à la rencontre des combattants. Nicolaï, l’un d’entre eux, raconte son quotidien. Le journaliste lit la retranscription. Mais tout ne fonctionne pas parfaitement, quand on confie la traduction aux machines…
7/ Pablo Casals sur la tombe de Frédéric Mistral – 4’20’’
Radio-diffusion française
Production : Michel Robida
Avec Pablo Casals
Première diffusion le 28 mai 1946
Dans le village de Maillane, où Frédéric Mistral est enterré, le musicien Pablo Casals se recueille devant sa tombe et lui rend hommage en catalan. Puis il s’assied, ferme les yeux et joue une suite pour violoncelle. C’est sans compter sur le mauvais temps qui interrompt la retransmission en direct.
8/ Projet d’union totale entre l’Égypte et la Libye – 1’13’’
Inter Actualités – France Inter
Première diffusion le 2 août 1972
9/ La note du traducteur – 38’’
∞ extrait n°1
La traduction sollicite à la fois la réflexion du linguiste, du philosophe, de l’historien, du psychologue, de l’artiste de l’écrivain : tous les niveaux où la langue est amenée à fonctionner dans la rencontre avec d’autres langues.
10/ Le voyage – explorateurs – 2’37’’
L’expérience – France Culture
Production : Aurélie Charon, Kaye Mortley
Réalisation : Manoushak Fashahi
Première diffusion le 10 octobre 2019
Kaye Mortley tombe par hasard sur des listes de provisions emportées par des explorateurs du XIXème siècle qui ont tenté de traverser l’Australie du Sud au Nord. Elle déplie ces listes en un Atelier de Création Radiophonique où l’on croise des voyageurs, des sons, des animaux, des paysages, du rêve.
11/ Sélection Prix Italia – Cordoba Gongora – 3’03’’
France Culture
Production : René Farabet, Claire Viret
Première diffusion le 30 janvier 1987
À Cordoue, de nombreuses civilisations sont superposées. Et l’architecture de la ville peut faire penser à celle d’une oreille.
12/ Retour en Australie – 2’15’’
Résonances – France Culture
Production : Kaye Mortley
Première diffusion le 29 octobre 2001
Kaye Mortley prend le train qui amène le courrier vers l’Ouest. Et rencontre des mimosas en fleur sur la route.
13/ La note du traducteur – 49’’
∞ extrait n°1
Georges Kassaï évoque les champs contemporains de la traduction.
14/ Elle est comment la traduction ? – 3’50’’
Nuits magnétiques – France Culture
Production : Irène Bérélowitch, Colette Fellous, Jean Daive
Réalisation : François Teste
Avec André Markowicz
Première diffusion le 9 avril 1999
« Elle se tient comme si elle n’avait besoin de personne, et que c’était tout le monde, au contraire, qui avait besoin d’elle... » André Markowicz s’enivre du charme des mots, russes comme français. En point de départ, une hypothèse vertigineuse : on pourrait tout retraduire, à l’infini.
15/ La note du traducteur – 18’’
∞ extrait n°1
16/ Le procès de Nuremberg – 2’40’’
Archives 14-64 – France Inter
Production : Edmond Charlot, Pierre Vigne, André Lemas
Au palais de justice de Nuremberg, les accusés prennent place face aux juges. Ils doivent plaider coupable ou non-coupable.
Quand le casque de traduction d’Hermann Göring ne fonctionne pas, la solennité du moment s’estompe pendant un moment.
17/ Une interprète à la barre, Christiane Driesen – 1’49’’
La danse des mots – Radio France Internationale
Production : Yvan Amar
Réalisation : Ludivine Amado
Première diffusion le 3 mai 2011
Qui a droit à un interprète au tribunal ? Christiane Driesen, interprète de conférence et interprète auprès des tribunaux, détaille les pratiques françaises et européennes. L’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme stipule le droit, pour un prévenu, à une information compréhensible. Toutefois, le texte ne précise si l’interprétation doit être consécutive ou simultanée.
18/ Le procès de Nuremberg – 24’’
∞ extrait n°16
19/ Le duel Coppi-Bartali – 2’07’
Production : Antoine Chao
Traduction : Francesca Isidori
Reportage inédit, jamais diffusé
Évocation du premier Giro, le Tour d’Italie, d’après-guerre, où le duel entre Gino Bartali et Fausto Coppi fait rage. Comment traduire les hésitations et les emballements de la langue dans la traduction, pour traduire la vie même ?
20/ À l’écoute de la famille Coppi
Production : Antoine Chao
Traduction : Clotilde Pivin
Avec Livio Coppi
Entretien réalisé par Claude Giovanetti et Yann Paranthoën en 1981
Reportage inédit, jamais diffusé
L’art de la traduction par Yann Paranthoën, qui joue la langue traduite avec l’évocation du contexte dans lequel le réel est enregistré.
21/ Les mangeurs de pommes de terre – 4’16’’
Atelier de création radiophonique – France Culture
Production : Yann Paranthoën, Claude Giovanetti
Première diffusion le 5 novembre 1989
Voyage aux Pays-Bas sur les traces de Vincent Van Gogh, de son tableau et des pommes de terre qui y figurent. Yann Paranthoën et Claude Giovanetti se promènent au musée du Brabant, chez des cultivateurs de pommes de terre ou dans la campagne avec des enfants à la recherche de nids d’oiseaux.
22/ Les armes à feu aux États-Unis – 2’08’’
Là-bas si j’y suis – France Inter
Production : Daniel Mermet
Réalisation : Antoine Chao
Journaliste : Giv Anquetil
Première diffusion le 29 octobre 2004
Cinq enfants, une vingtaine d’armes à feu à la maison et une arme offerte à chaque grande occasion.
23/ La note du traducteur – 16’’
∞ extrait n°1
24/ L’Amérique est de retour – 28’’
Première diffusion le 5 mars 2025
25/ Parole politique : un langage vidé de son sens ? – 2’10’’
Signes des temps – France Culture
Production : Marc Weitzmann
Réalisation : June Loper
Avec Bérangère Viennot
Première diffusion le 9 octobre 2022
De la difficulté de bien traduire Donald Trump, et rester fidèle au sens comme au fond de ses discours. Bérengère Viennot, autrice de La langue de Trump, expose ces impasses et ambiguïtés de l’énonciation : « si vous partez d’une réalité tangible et que vous avez face à vous un locuteur qui parle de sa réalité qu’il a inventée, il n’y a aucun moyen de se rencontrer, ni dans le discours, ni dans la réalité des faits ».
26/ Édouard Glissant (3ème partie) – 1’06’’
A voix nue – France Culture
Production : Catherine Pont Humbert
Réalisation : Nathalie Triandafyllidès
Avec Édouard Glissant
Première diffusion le 16 janvier 2002
« J’écris en présence de toutes les langues du monde, même si je n’en connais aucune. Elles forment ma sensibilité. Et nous n’allons pas sauver une langue sans sauver toutes les autres langues ». Édouard Glissant.
27/ Du côté de la Terre Same – 2’35’’
Atelier de création radiophonique – France Culture
Production : René Farabet, Kaye Mortley
Première diffusion le 16 avril 1989
Reportage dans des villages de huttes du Grand Nord, rencontres de rudesses et de neiges craquantes, partage de chaleur et de joie. Recherche de l’identité d’un peuple décimé au cours des siècles, et repoussé jusqu’aux glaces de la mer arctique, minoritaire dans un pays trop grand et aujourd’hui en quête de son unité et de ses droits (à la terre, à l’eau…), jaloux de sa langue.
28/ C’est le doute qui me donne la confiance de traduire – 3’05’’
Par les temps qui courent – France Culture
Production : Mathilde Wagman, Marie Richeux
Réalisation : Esther Valencic
Avec Noémie Grunenwald
Première diffusion le 26 octobre 2021
Jouer avec la langue pour éviter qu’elle se joue de nous. Noémie Grunenwald, traductrice de l’anglais, raconte son expérience de la traduction féministe, c’est-à-dire de la traduction de textes féministes et de la traduction de textes en féministe. Un plaidoyer pour une langue vivante.
29/ Le répondeur fantasmé – 2’17’’
Encore heureux – France Inter
Production : Arthur Dreyfus
Réalisation : Benjamin Riquet
Avec Gurwann Tran Van Gie
Première diffusion le 23 avril 2014
Gurwann Tran Van Gie orchestre tous les jours la voix libérée d’auditeurs imaginaires. Une cour des miracles téléphonique où se côtoient, entre les bips, le meilleur du pire, le pire du meilleur et bien plus encore…
30/ François Corneloup et Isabelle Loubère – 1’08’’
À l’improviste – France Musique
Production : Anne Montaron
Première diffusion le 13 septembre 2006
On fait quoi maintenant ? On improvise ! Anne Montaron s’entretient ce soir avec le duo formé d’Isabelle Loubère, comédienne de l’Association « Parler Noir », et du saxophoniste François Corneloup, sur les textes du poète gascon Bernard Manciet.
31/ Bernard Lubat – 3’25’’
L’heure bleue – France Inter
Production : Laure Adler
Réalisation : Benjamin Riquet
Avec Bernard Lubat
Première diffusion le 12 septembre 2017
Bernard Lubat évoque comment la poésie en gascon et en occitan de Bernard Manciet a « fécondé » son travail. Vingt ans de lutte presque finale entre improvisation musicale et improvisation linguistique.
32/ Retour sur les langues régionales – 2’10’’
Tire ta langue – France Culture
Production : Antoine Perraud
Réalisation : Françoise Camard
Avec Alain Rey
Première diffusion le 5 octobre 1999
Flamand, alsacien, breton, basque, corse, niçois, catalan… Alain Rey rappelle les lointaines et multiples racines qui constituent le patrimoine linguistique de la France.
33/ Lancement de l’émission – 46’’
Parler de la langue – Radio Uylenspiegel
Première diffusion le 11 janvier 2025
34/ Lancement d’une veillée en breton – 51’’
France Inter
Avec Daniel Jequel
Première diffusion le 14 janvier 1986
35/ Piarres Larzabal à propos de son dernier ouvrage – 24’’
Euskal Emankizuna
Présentation : Maite Barnetche
Première diffusion le 22 octobre 1978
36/ Lancement de l’émission – 44’’
L’heure occitane – Radio France Toulouse
Avec Maurici Andrieu
Première diffusion le 10 janvier 1998
37/ Lancement de l’émission – 42’’
Production : Isabelle Loubère
France Bleu Gascogne
Première diffusion le 23 juin 2013
38/ Langues régionales : quels médias ? – 1’26’’
Tout un monde – France Culture
Production : Marie-Hélène Fraïssé
Réalisation : Anne Depelchin
Avec Matao Rollo
Première diffusion le 10 janvier 2010
De l’acte politique de donner la parole à ceux qui parlent le gallo : Matao Rollo rappelle combien les locuteurs de langues régionales ont parfois été considérés comme des « ploucs ».
38/ Le journal des sorties bilingues – 25’’
France Bleu Frequenza Mora
Avec Rémy Farré
Première diffusion le 7 juillet 2019
39/ Lancement de l’émission – 27’’
Kumm loos a mol – Radio Quetsch
Première diffusion le 8 décembre 2024
40/ Une langue poème – 1’59’’
Talmudiques – France Culture
Production : Marc-Alain Ouaknin
Réalisation : Dany Journo
Première diffusion le 8 mars 2020
Un jour, lors d’un festival de poésie, le poète Roberto Juarroz rencontra un indigène mapuche. Celui-ci lui dit qu’un mot d’un de ses poèmes n’existait pas dans sa langue. Le mot manquant était « miroir ». Pour l’aider, Juarroz lui demanda si le mot « reflet » existait dans sa langue. L’indigène mapuche lui répondit que « reflet » se disait en deux mots et signifiait « l’eau après la pluie ».
41/ Là-bas si Chili ! Avec les Mapuches – 1’50’’
Là-bas si j’y suis – France Inter
Production : Daniel Mermet
Réalisation : Khoï Nguyen
Première diffusion le 6 octobre 2010
Libérez les Mapuche qui luttent ! C’est un cri, c’est aussi un texte qu’une poétesse mapuche offre, par email, à Daniel Mermet :
Madre tierra, madre tierra / de ondulante vientre / día y noche engendra / milenarias semillas / brotan en ríos, se deslizan en cascadas / estrellas luminosas / generando raíces ancestrales.
Madre tierra, madre tierra / mapuche tus entrañas paren / en constante movimiento / de atardeceres y amaneceres.
En valles y montañas / rewe, pewen, foie / su toki yerguen para liberarte y defenderte / acariciarte y amarte madre tierra.
Crédits du programme de la Nuit de la radio 2025
Un événement proposé par la Scam en partenariat avec l’INA.
Antoine Chao, producteur de podcasts et d’émissions de radio et membre de la commission du répertoire sonore de la Scam
Avec le concours de :
Axel Poulet, mixage
Valérie Canton-Pont et Sandra Escamez, documentation INA.
David Cauchi, suivi juridique INA.
Coordination : Nicolas Bole
Design : Catherine Zask
Remerciements : Aser Alvarez, Mélanie Augère, Abdennacer Benhammou, Alba de Casabianca, Serey Chav, Anne Lacouture, Isabelle Loubère, Tania Rakhmanova, Sami Sadak pour leurs voix au générique, Thomas Baumgartner,
Francesca Isidori, Valérie Julia, Margot Nguyen, Clotilde Pivin, Christophe Rault.
Les membres de la commission sonore de la Scam.
Né à Paris de parents espagnols, Antoine Chao étudie la physique à l’université Paris 7 tout en faisant de la musique. Il participe avec son frère, le chanteur Manu Chao, à la création du groupe de rock français Mano Negra et y joue de la trompette de 1988 à 1993. Il intègre la troupe de théâtre de rue Royal de luxe puis devient programmateur musical de Radio Latina et y présente l’émission hebdomadaire de Jazz afro-cubain Cubano-be cubano-bop. Il monte en 1995 l’association Fréquences Éphémères, manufacture dispersée de production radiophonique qui organise des radios nomades et temporaires d’éducation populaire (Festival d’Uzeste, Festival des Suds à Arles…). Il remplace Bruno Carpentier à la réalisation de l’émission Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet sur France Inter en septembre 2001 puis devient reporter pour l’émission à partir de 2007.
Là-bas si j’y suis est supprimée à la rentrée 2014. Antoine Chao devient co-producteur de l’émission Comme un bruit qui court, avec Giv Anquetil et Charlotte Perry. À partir de 2018 il anime chaque vendredi et dimanche l’émission C’est bientôt demain sur France Inter. L’émission prend fin le 23 juin 2024, dans un contexte où de nombreux programmes de Radio France et France TV portant sur l’écologie sont supprimés de la grille de rentrée.
Il prépare néanmoins une émission hebdomadaire de reportage pour la grille d’été de France Inter 2025.
Il intervient régulièrement au CREADOC d’Angoulême et propose des formes « radio scéniques » comme Radio Lapin et le Silence des pantoufles, duo de Noïse antifa.
Membre de la Commission du répertoire sonore de la Scam depuis 2017, Antoine Chao a conçu le programme de la Nuit de la radio 2025 – En d’autres langues.
Depuis 2001, les auteurs de la commission des œuvres sonores de la Scam proposent, avec la Nuit de la radio, une expérience unique d’écoute collective, organisée conjointement avec l’INA. Un programme, réalisé à partir d’archives sonores sur un thème renouvelé chaque année, se découvre casque sur les oreilles, sous les étoiles de l’été. Divulguée à Paris pour sa première écoute, la Nuit de la radio s’inscrit également dans la programmation des prestigieux festivals que sont les États généraux du film documentaire (Lussas), Longueur d’ondes, festival de la radio et de l’écoute (Brest). Le choix des thématiques permet de puiser librement dans l’histoire de la radio et d’inventer un récit singulier libéré des formats et des contraintes chronologiques.
Depuis sa création, la Nuit de la radio a notamment abordé les rivages de l’Ailleurs (2009), L’Esprit des lieux (2014), la censure (Les Oreilles ont des murs, 2010), l’Afrique (2003), les Plaisirs (2013), les Voix des ondes (2005), le Noir (2008), les lendemains qui chantent (Ça ira mieux demain !, 2012), les Ondes de choc (2015), L’adieu aux larmes (2016), Liberté(s) (2017), Le jour tombe, la nuit se lève (2018), Refaire le monde (2019), Avoir 20 ans (2020-2021), Le Panoptique Spatial (2022), Les morts ne l’entendent pas de cette oreille (2023), Motus et bouche cousue (2024).
La Scam vous convie à la Nuit de la radio 2024, une expérience unique d’écoute collective. Depuis 2001, la Nuit de la radio propose de (re)découvrir des extraits mythiques de l’histoire de la radio, issus des collections de l’INA.
Construite cette année sur le thème Motus et bouche cousue, ce programme sonore a été écrit et réalisé par Anne de Giafferri.
Un événement LaScam en partenariat avec l’INA.
Durée du programme : 1h
Il y a quelques années, la question du secret m’apparaissait lors de la réalisation de deux documentaires radiophoniques.
L’un faisait le récit douloureux des secrets dévoilés dans le roman Pays Perdu de Pierre Jourde qui l’avait amené à une exclusion violente par sa communauté d’enfance. Un romancier, des paysans et des secrets. Tout un monde à vif qui soulevait cette interrogation : pourquoi la révélation publique d’un secret connu de tous devenait-elle parole insupportable ?
L’autre s’évanouissait parmi les souvenirs de ma maison de famille lorsque j’y retournais une dernière fois pour enregistrer chaque personne liée intimement ; je savais qu’elle abritait des secrets. Cette déambulation, sorte d’« ethnosonographie », les révéla. Au montage, je décidai de laisser partir les secrets avec la maison, dépositaire de notre histoire.
Ne pas tout savoir, laisser un peu de flou nous border en marge de ces nouveaux territoires où la vie de tout un chacun s’expose en direct.
Résister pour préserver notre imaginaire, nos rêves, nos fantasmes, cette zone d’intimité secrète et de refuge parfois nécessaire.
Le secret comme isolement, lieu d’une possible subjectivation nouvelle, l’occasion d’expérimenter des formes originales à l’écart du monde.
Le secret, lieu de création et de poésie.
Arpenter ces archives sonores et les interroger sur cette conquête de l’intimité, sur cette histoire politique des espaces. Cultiver son jardin secret, un espace intime.
Crédits du programme de la Nuit de la radio 2024
Un événement proposé par la Scam en partenariat avec l’INA.
Anne de Giafferri, autrice-réalisatrice sonore et audiovisuel et membre de la commission du répertoire sonore de la Scam
Avec le concours de :
Pascaline Peretti, coordination générale
Bergame Périaux, musique et mixage
Fanny Depagne, documentation INA
David Cauchi, suivi juridique INA
Remerciements : Gabrielle Borde-Périaux pour sa douce voix au générique et les membres de la commission sonore de la Scam.
Design et animation : Chevalvert
∞ Ce symbole renvoie vers les crédits de l’extrait précédemment cité
1 – Naufrage en pleine terre
Par Ouï-Dire
Présence / Radiola.be
Réalisation : Fanny Lacrosse
Mixage, sound design : Adrien Pinet
2019 – INSAS, ACSR et RTBF
C’est l’histoire d’un arrachement caché, d’un vide glacé, logé aux confins d’un 80 m2 complètement … saturé !
C’est l’histoire d’un héritage,
Une sorte de conte désenchanté, transmis de mère en fille,
Un tas en vrac dans lequel se noue le récit d’une famille ;
L’Histoire d’un trop plein,
Un empaquetage sans fin d’objets que l’on porte, que l’on pousse, que l’on tire,
De caisses en carton où, entre les bibelots, s’agglutinent fantômes et souvenirs.
L’Histoire aussi d’un vide,
Qui, brassé par les vagues de la mémoire, refait surface,
Et permet d’apprivoiser le chaos et regagner de l’espace ;
C’est l’Histoire d’une tragédie du quotidien,
Celle d’un paysage où l’on se noie, les deux pieds ancrés dans la matière,
Il était une fois …
« Naufrage en pleine terre »
2 – Secret et transparence
Le cercle des médiologues
Producteurs : Pierre-Marc de Biasi, Régis Debray
Réalisatrice : Brigitte Rihouay
30 septembre 2001 – France Culture – INA
En quoi notre modernité développe simultanément une idéologie de l’évidence (transparence morale, traçabilité des produits, exhibition spectaculaire du privé, lisibilité…), et un culte grandissant du secret (protection des données personnelles, industrielles, scientifiques, armes furtives, secret défense…), avec, dans les deux cas, un recours massif aux nouvelles technologies numérosphère, vidéosphère, cyber- surveillance…).
3 – Jean Poiret et Michel Serrault
Votre jardin secret
Productrice : Martine de Breteuil
Avec Jean Poiret, Michel Serrault
La queue du chat écrite et composée par Robert Marcy
© Les Nouvelles Editions Méridian, Paris (France),
avec l’autorisation des Nouvelles Éditions Méridian, Paris (France)
30 septembre 1969 – Inter Variétés (ORTF) – INA
Jean Poiret et Michel Serrault : les auteurs qu’ils aiment en littérature et en poésie; les pâtes aussi.
4 – Secret et transparence
∞ extrait n°2
5 – La magie et la sorcellerie en Afrique noire : le miroir magique
Charlatans et Compagnie
Producteurs : Michel Seldow, Jean Leloup
Réalisateur : Guy Delaunay
16 novembre 1956 – Chaîne Parisienne (RTF) – INA
6 – Jean Poiret et Michel Serrault
∞ extrait n°3
7 – La magie et la sorcellerie en Afrique noire : le miroir magique
∞ extrait n°5
8 – Joseph Kessel
Votre jardin secret
Productrice : Martine de Breteuil
23 décembre 1969 – Inter Variétés (ORTF) – INA
Joseph Kessel parle du roman de M. Boulgakov Le Maître et Marguerite, des auteurs russes et français qu’il préfère, de son admiration pour Shakespeare.
9 – Le jardin secret
Surpris par la nuit
Producteur : Alain Veinstein
Réalisateur : Bernard Treton
Avec Marie Depussé
27 novembre 2000 – France Culture – INA
Qu’est-ce que le « jardin secret » recouvre pour chacun ? J’aimerais approcher cette zone d’ombre dans laquelle on habite solitaire, un monde qui n’appartient qu’à nous, qui ne regarde que nous. Approcher l’expression de ce qu’on ne dit pas, de ce qu’on ne partage pas ou montre pas. Pour cela, il faut parler aussi de la face visible de soi. L’émission se situe à la frontière de ce qui est montré et de ce qui est caché, de ce qui est dit et de ce qui est tu, de ce qui est connu et de son contraire.
10 – Le secret
La vie comme elle va
Productrice : Francesca Piolot
Réalisateur : Olivier Coppin
Avec Dominique Rabaté
25 avril 2002 – France Culture – INA
Un entretien avec Séverine Auffret, auteur de Petit traité de la faiblesse, de la légèreté, de l’inconstance qu’on attribue aux femmes mal à propos puis avec Dominique Rabaté, coordonnateur de Dire le secret et Le secret : tact ou tactique ?, une improvisation philosophique de Etienne Gruillot.
11 – Conversations philosophiques : le secret
Le banquet
Productrice : Francesca Piolot
Réalisateur : Olivier Coppin
Avec Françoise Bonardel
31 mars 1995 – France Culture – INA
Le secret sur un ton familier, Platon, Descartes, Jankélévitch, Vattimo ou Rorty, philosophes d’une histoire, philosophes d’aujourd’hui peuvent-ils nous parler de la joie, du secret, de l’intime, du désordre ou de la tentation ? C’est à cette circulation de la parole du philosophe, conviviale, joyeuse et ouverte à tous qu’invite cette émission.
12 – Le jardin secret
∞ extrait n°9
13 – Le secret
∞ extrait n°10
14 – Conversations philosophiques : le secret
∞ extrait n°11
15 – Le jardin secret
∞ extrait n°9
16 – Le secret
∞ extrait n°10
17 – Conversations philosophiques : le secret
∞ extrait n°11
18 – Le secret
∞ extrait n°10
19 – Le jardin secret
∞ extrait n°9
20 – Le secret
∞ extrait n°10
21 – Catherine Deneuve
Paroles d’actrices
Producteur : Jérôme Clément
Réalisatrice : Christine Robert
Avec Catherine Deneuve
08 août 2009 – France Culture – INA
Second volet d’une série de cinq émissions consacrées aux actrices. Aujourd’hui, Jérôme Clément s’entretient avec Catherine Deneuve dans la salle de restaurant du cinéma le Panthéon à Paris, dont l’actrice a réalisé la décoration. Celle-ci évoque sa carrière professionnelle et sa vie privée.
22 – La joie de lire – Entretien M. Arland et H. Thomas sur le poète Jean Follain (éléments)
Productrice : Cécile Clairval
Avec Marie-Claire Blais
1er avril 1971 – ORTF – INA
23 – La Discrète
Lecture d’un extrait du film La Discrète (Lazennec, 1990)
Scénario : Christian Vincent, Jean-Pierre Ronssin
Réalisation : Christian Vincent
-Le Pacte
24 – Conversations philosophiques : le secret
∞ extrait n°11
25 – Aragon ou l’écriture du secret
Le vif du sujet
Production : Alexandre Héraud, Elsa Brunet
Avec Monique Dupont-Sagorin, Pierre Daix
Citation Le Mot de Louis Aragon (Poèmes, 1943)
23 décembre 2003 – France Culture – INA
Diffusion d’un documentaire sur la vie d’Aragon illustré de nombreux témoignages suivi d’une entretien en direct avec Louis Vigouroux psychanalyste auteur de Secrets de famille qui s’interroge sur les évènements dissimulés dans les familles notamment à travers le cas d’Aragon, ses origines, son rapport au père et à la mère.
26 – Semaine Henry James – L’Image dans le tapis
Anniversaire
Producteur : René Farabet
Réalisateur : Henri Soubeyran
23 août 1966 – France Culture – INA
27 – Henry James : le secret
Une vie, une œuvre
Production : Michel Cazenave, Françoise Estèbe
Réalisatrice : Marie-Ange Garrandeau
Avec Diane de Margerie
13 mai 2001 – France Culture – INA
Après avoir montré dans une première émission comment Henry James, américain exilé en Europe par
choix esthétique, s’était inscrit dans la société de son temps, oscillant entre deux modèles culturels – l’idéal démocratique américain et les raffinements de la civilisation européenne -, nous l’aborderons aujourd’hui dans sa relation névrotique avec sa singulière famille : un père amputé – le vide, le manque hantent l’oeuvre de James -, un frère aîné, le philosophe William James, rival et jalousé, une soeur, Alice, déséquilibrée et malade ; famille brillante et torturée, sujette aux crises nerveuses, aux hallucinations et aux maladies psychosomatiques, avec laquelle il ne pourra jamais rompre des liens névrotiques. Nous interrogerons les silences et les non-dits d’une oeuvre énigmatique, ouverte sur des hypothèses et des questionnements, qui choisit le secret comme moteur romanesque et procédé d’écriture.
28 – Semaine Henry James – L’Image dans le tapis
∞ extrait n°26
29 – Martin Winckler
Cher journal
Productrice : Elsa Boublil
Réalisateur : Xavier Pestuggia
Avec Martin Winckler
20 juillet 2002 – France Inter – INA
Dans ce numéro de Cher journal, c’est l’écrivain Martin Winckler qui parle de son journal intime.
30 – La science et le secret : histoire du codage et du déchiffrement
Le temps des sciences
Productrice : Michèle Chouchan
Réalisatrice : Nathalie Battus
17 février 1998 – France Culture – INA
Documentaire scientifique sur l’histoire des sciences et des techniques. Aujourd’hui, l’histoire de la cryptographie au cours des siècles.
31 – Un secret mal gardé : le journal intime, 1 – Journal intime pour tous
Nuits magnétiques
Productrices : Isabelle Yhuel, Colette Fellous
08 janvier 1991 – France Culture – INA
Inkery et Leena, mère et fille : Inkery tient son journal depuis l’âge de 7 ans. En finnois d’abord, en français ensuite, en anglais maintenant le plus souvent, par dépit : « je n’ai plus de langue, donc plus d’identité ». Une trentaine de gros cahiers dans son armoire, sous les pulls, qu’elle ne relit jamais : « Ça me donne trop de nostalgie. J’ai le sentiment d’un échec affectif et je dois rester forte, pour continuer ». Leena, sa fille 35 ans. Déjà à 15 ans, son père lit en cachette son journal qui traîne dans la salle de bain, et à 35 ans son mari le découvre et décide de le noyer dans le lavabo.. « Je voyais l’encre se diluer dans l’eau ».
32 – Le secret
∞ extrait n°10
33 – Martin Winckler
∞ extrait n°29
34 – Un secret mal gardé : le journal intime, 1 – Journal intime pour tous
∞ extrait n°31
35 – Obscuur – Notes du sous-sol
Empreinte / Radiola.be
Réalisation, prise de son : Lotte Nijsten et Gillis Van der Wee
Texte et interprétation : Lotte Nijsten
Mixage, sound design : Gillis Van der Wee
2021 – ACSR avec le soutien du Vlaams Overheid, du RITSC
« Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. » Paul Eluard
Comment pouvons-nous faire remonter à la surface le monde sonore caché et souterrain ?
En dessous de la surface, il y a un monde de sons cachés.
Dans cet espace acoustique particulier, si on écoute soigneusement, on peut entendre les rythmes et les flux de la ville résonner. Transformés et façonnés par les structures internes de la ville, ces sons sont les échos de la vie urbaine.
Obscuur est un recueil de poèmes sonores qui questionnent le souterrain urbain et la pratique de l’écoute dans un monde visuel.
36 – Conversations philosophiques : le secret
∞ extrait n°11
37 – Le secret
∞ extrait n°10
38 – Obscuur – Notes du sous-sol
∞ extrait n°35
39 – Augustine, la nostalgie des origines
Présence / Radiola.be
Réalisation : Yves Robic
2017 – Sonoscaphe, ACSR
Avec le soutien du FACR de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Après la réalisation de « Entre les lignes » , Yves part sur les traces de sa mère. Elle avait toujours dit être orpheline. Bien après sa mort il découvre qu’il n’en était rien. Elle avait une famille, mais l’avait fui à l’âge de 19 ans…
Je pensais qu’il y avait un mur. Que la maison s’arrêtait là.
Et soudain s’ouvre une brèche, un passage…
Derrière d’autres pièces, des couloirs, des portes, des personnes. Une autre vie où je découvre ma mère jeune, féminine comme je ne l’ai jamais vue. Entourée de frères jusque-là inconnus, cachés, emmurés…
Ils sont tous morts depuis bien longtemps. Sauf Augustine…
Et si le passé ne ressurgissait jamais que sous la forme d’une joie tragique ? Celle de retrouver dans le même instant, ce qui est irrémédiablement perdu.
Anne de Giafferri, autrice-réalisatrice de films et de créations sonores, pose un regard sensible sur la société contemporaine à travers des récits singuliers.
Elle est l’autrice de films documentaires tels que La Règle du Je sur l’entrée de l’enfant dans l’espace social, Incertains voyages sur les migrants mineurs isolés et Un Monde sans contact ? sur l’intelligence artificielle. En fiction, elle a réalisé un court métrage sur la maladie mentale, Les Étoiles brillent aussi la nuit, avec Romane Bohringer.
Elle est l’autrice de créations radiophoniques pour France Culture et la RTBF.
En 2023, elle réalise une installation sonore immersive, Cargo, sur les mobilités sociales en Méditerranée, avec l’artiste-plasticien Christian Delécluse et le pôle innovation de Radio France.
Membre du Conseil d’administration et de la Commission du répertoire sonore de la Scam, Anne de Giafferri a conçu le programme de la Nuit de la radio 2024 – Motus et bouche cousue.
Depuis 2001, les auteurs de la commission des œuvres sonores de la Scam proposent, avec la Nuit de la radio, une expérience unique d’écoute collective, organisée conjointement avec l’INA. Un programme, réalisé à partir d’archives sonores sur un thème renouvelé chaque année, se découvre casque sur les oreilles, sous les étoiles de l’été. Divulguée à Paris pour sa première écoute, la Nuit de la radio s’inscrit également dans la programmation des prestigieux festivals que sont les États généraux du film documentaire (Lussas), Longueur d’ondes, festival de la radio et de l’écoute (Brest). Le choix des thématiques permet de puiser librement dans l’histoire de la radio et d’inventer un récit singulier libéré des formats et des contraintes chronologiques.
Depuis sa création, la Nuit de la radio a notamment abordé les rivages de l’Ailleurs (2009), L’Esprit des lieux (2014), la censure (Les Oreilles ont des murs, 2010), l’Afrique (2003), les Plaisirs (2013), les Voix des ondes (2005), le Noir (2008), les lendemains qui chantent (Ça ira mieux demain !, 2012), les Ondes de choc (2015), L’adieu aux larmes (2016), Liberté(s) (2017), Le jour tombe, la nuit se lève (2018), Refaire le monde (2019), Avoir 20 ans (2020-2021), Le Panoptique Spatial (2022), Les morts ne l’entendent pas de cette oreille (2023).
La Scam vous convie à la Nuit de la radio 2023, une expérience unique d’écoute collective. Depuis 2001, la Nuit de la radio propose de (re)découvrir des extraits mythiques de l’histoire de la radio, issus des collections de l’INA.
Construite cette année sur le thème Les morts ne l’entendent pas de cette oreille, ce programme sonore a été écrit et réalisé par Judith Bordas.
Un événement Scam en partenariat avec l’INA.
Durée du programme : 1h
Comment ça se fabrique un mort ? Est-ce qu’il existe une suite de mots, de gestes qui par leur assemblage permettraient à un mort de rester un peu parmi nous ? Qu’en est-il pour ceux dont on ne sait rien, dont on ignore le nom, l’histoire ? Et si on pouvait choisir à l’avance notre propre oraison, quelle serait-elle ?
Quand mon voisin est mort, ça a été très vite.
Une après-midi, deux heures de cérémonie et on n’en parle plus.
Deux heures.
C’est peu pour parler de quelqu’un.
Deux heures, arrivée de la voiture des pompes funèbres, attroupements et chuchotements, embrassades et proposition de mouchoirs compris.
Deux heures du moment où le corps des convives est lesté au sol, ressent une légère sueur froide jusqu’à celui où on se dit que ce soir on irait bien boire un coup, qu’il faudrait en profiter de cette vie.
Des mois après, j’étais toujours en colère et me demandais si on n’aurait pas pu faire mieux.
Cette promenade dans les archives radiophoniques de l’INA est une enquête sur notre manière d’accompagner les morts, de leur permettre de devenir -pour paraphraser la philosophe Vinciane Despret- de « bons » morts, des morts heureux.
Judith Bordas
Capsule 1 – Mon faire-part de décès
Capsule 2 – Un mort « accompli » selon Vinciane Despret
Capsule 3 – École des métiers du funéraire
Crédits du programme de la Nuit de la radio 2023
Un événement proposé par la Scam en partenariat avec l’INA.
Judith Bordas : autrice sonore, dramaturge, plasticienne et membre de la commission du répertoire sonore de la Scam
Avec le concours de :
Amélie Briand-Le Jeune, documentaliste INA
Martin Delafosse, monteur/mixeur
Remerciements : Antoine Chao, Hélène Chaudeau, Charlotte Bienaimé, Jean-Marie Clairambault et tous les membres de la commission sonore de la Scam
Design : Catherine Zask
Animation : Benoît Wimart
∞ Ce symbole renvoie vers les crédits de l’extrait précédemment cité
1/ Un Nagra devant Marseille, 1
Extrait : 1’06’’ – Nuits magnétiques
Producteurices : Jean Couturier, Irène Omélianenko
13 novembre 1990 – France Culture – INA
Montage d’entretiens à Marseille et ambiances sonores.
2/ La mort dans les sociétés africaines : 2e partie
Extrait : 12’’ – La matinée des autres
Producteur : Tony da Silva
Réalisateur : Bernard Latour
5 février 1980 – France Culture – INA
3/ Obsèques de Léon Blum
Extrait : 36’’
Journalistes : Stéphane Pizella, Jean Rabaut
2 avril 1950 – Radiodiffusion Télévision Française (RTF) – INA
Reportage place de La Concorde où la foule et les officiels sont venus saluer la dépouille de Léon Blum et manifester leur peine.
4/ Les embaumeurs
Extrait : 3’22’’ – Sur les docks
Producteur : Joseph Confavreux
Journaliste : Elise Andrieu
Réalisateur : Renaud Dalmar
31 octobre 2006 – France Culture – INA
Chaque jour, les thanatopracteurs pratiquent les soins de conservation sur les corps défunts, afin de les rendre fidèles à ce qu’ils étaient. Une dernière image apaisée qui permettra aux proches de faire leur deuil.
5/ Prendre soin, penser en féministes le monde d’après (Ep. 26)
Extrait : 1’10’’ – Un Podcast à soi
Autrice : Charlotte Bienaimé
Réalisateur : Samuel Hirsch
Producteur : Arte Radio
Participante : Vinciane Despret
10 juin 2020 – Arte Radio
Cet épisode cherche à rendre hommage aux nombreuses femmes, autrefois invisibles, mises au-devant de la scène par la crise du Covid : aides-soignantes, infirmières, aides à domicile, institutrices, caissières, nounous, agentes d’entretien… Ces femmes qui exercent en grande majorité ces métiers dits « du care », essentiels à la marche de notre monde. Il interroge aussi plus largement la notion de soin : qui prend soin de qui ? Et au-delà encore, comment prend-on soin ? Qu’en est-il du soin que l’on porte aux morts ? Mais aussi au monde vivant, et aux animaux ? Et pourquoi tout cela nous amène à parler de vulnérabilité, de pouvoir et d’utopies concrètes ?
6/ Les embaumeurs
Extrait : 35’’
∞ Extrait n°4
7/ Par la Racine, Mortel combat…
Extrait : 1’30’’
Autrice, réalisatrice, monteuse : Loren Gautier
Producteur : Radio Vassivière
Participante : Hélène Chaudeau
25 septembre 2019 – Radio Vassivière
Par la Racine est un groupe de recherche qui se réunit depuis environ un an dans l’idée d’initier un mouvement de réappropriation de la mort sur la montagne limousine. À travers des enregistrements d’une réunion Par la Racine de décembre 2018 Hélène Chaudeau nous présente les multiples aspects ce cette inéluctable question.
8/ Sous bénéfice d’inventaire : la mort et l’héritage – Ni fleurs ni couronnes
Extrait : 3’24’’ – Sur les docksProductrice : Jeanne Robet
Réalisatrice : Nathalie Salles
13 avril 2010 – France Culture – INA
Seconde émission d’une série de quatre émissions consacrées à la mort et à l’héritage. Ce documentaire est consacré aux funérailles.
Qu’écrira-t-on sur le faire-part ? Où reposera votre corps ? Diffusera-t-on de la musique ? Avez-vous pensé à une épitaphe ? Interrogées sur l’organisation de leurs propres funérailles, quatre personnes d’âge et de culture divers imaginent la trace, audible, qui sera laissée aux proches et au monde. Au fil de ces témoignages se dessine un portrait de notre société face à la question du rituel funéraire. Mais avec des paroles vivantes et gracieuses, qui tentent de se jouer de la mort. En complément de ces scénarios intimes, des entretiens réalisés avec le directeur des services funéraires de la ville de Paris et un maître de cérémonie viennent confronter les volontés des uns et des autres, traditionnelles ou hors du commun, aux usages en cours et à la réglementation française.
Ce documentaire est inspiré du projet « Tombeaux Ouverts » réalisé par Jeanne Robet en résidence au CentQuatre en 2010 dont est issue une série de douze pièces sonores. https://soundcloud.com/tombeauxouverts
9/ Naître et mourir : » Votre mort, on s’en occupe »
Extrait : 1’26’’ – Sur les docks
Productrice : Maryam Khakipour
Réalisateur : François Teste
30 octobre 2013 – France Culture – INA
Troisième émission d’une série de quatre documentaires consacrée à la naissance et à la mort.
Rencontre avec des employés des pompes funèbres participant à un stage de formation au métier de « maître de cérémonie » à l’École Nationale des Métiers du Funéraire de Paris.
10/ Sous bénéfice d’inventaire : la mort et l’héritage – Ni fleurs ni couronnes
Extrait : 1’08’’
∞ Extrait n°8
11/ Naître et mourir : » Votre mort, on s’en occupe «
Extrait : 1’41’’
∞ Extrait n°9
12/ Sous bénéfice d’inventaire : la mort et l’héritage – Ni fleurs ni couronnes
Extrait : 1’06’’
∞ Extrait n°8
13/ Naître et mourir : » Votre mort, on s’en occupe »
Extrait : 45’’
∞ Extrait n°9
14/ Sous bénéfice d’inventaire : la mort et l’héritage – Ni fleurs ni couronnes
Extrait : 2’28’’
∞ Extrait n°8
15/ Au passage des mères
Extrait : 4’26’’ – Surpris par la nuit
Producteurices : Sylvie Gasteau, Alain Veinstein
Réalisateur : Lionel Quantin
5 septembre 2000 – France Culture – INA
À travers des témoignages croisés, ce document évoque la disparition de la mère, événement universel, vécu au fond de soi comme un séisme.
Novembre 99 – J’habite chez Rémy. Péril en la demeure. Sa mère va mourir. Il le sait, nous nous efforçons au mieux de vivre cette épreuve.
Décembre 99 – Catherine me raconte combien la rencontre d’un « croque-mort » pas comme les autres l’a aidé à mieux vivre le deuil de sa mère. C’est un homme incroyable, né dans un corbillard, greffé du cœur, qui se déclare survivant et exerce son métier avec passion.
Avril 2000 – Ma mère meurt à l’hôpital Béclère. La nuit même, je recopie son journal écrit en réanimation et l’enregistre pour la cérémonie.
Mai 2000 – Je parle de mon projet d’émission à Pascal. Après dix ans, il n’a toujours pas fait le deuil de sa mère… Coco dont la mère est plongée dans un coma profond, se propose de parler de cette mère encore vivante dont elle dit porter déjà le deuil.
Juillet 2000 – Les rendez-vous sont pris. Sylvie, Rémy, Catherine ont retrouvé le médecin, le prêtre, la thanatopracteur qu’ils ont rencontrés lors du décès de leur mère. Par des dialogues croisés, ils évoquent la disparition de la mère, événement universel, vécu au fond de soi comme un séisme.
16/ Sous bénéfice d’inventaire : la mort et l’héritage – Ni fleurs ni couronnes
Extrait : 2’38’’
∞ Extrait n°8
17/ Les pompes funèbres
Extrait : 46’’ – Les après-midi de France Culture
Producteurices : Pierre-Yves Leprince, Paula Jacques
Extrait du Journal corporatif des pompes funèbres
6 mars 1975 – France Culture – INA
18/ Je voudrais pas crever sans…
Extrait : 54’’ – Là-bas, si j’y suis
Producteur : Daniel Mermet
Journaliste : Christelle Loigerot
Réalisatrices : Chloé Sanchez, Lucie Akoun
21 décembre 2012 – France Inter – INA
Aujourd’hui, Christelle Loigerot s’intéresse aux dernières volontés des hommes avant de mourir.
19/ Votre tombe vous la voyez où ?
Extrait : 1’30’’ – Là-bas, si j’y suis
Producteur : Daniel Mermet
Journaliste : Dillah Teibi
Réalisateur : Antoine Chao
26 novembre 2002 – France Inter – INA
Des personnes de confessions ou d’origines différentes évoquent leurs rites funéraires.
20/ La mort embrasse la vie
Extrait : 39’’ – Création On Air
Productrices : Irène Omélianenko, Cendrine Robelin
Réalisatrice : Nathalie Salles
10 décembre 2015 – France Culture – INA
Création radiophonique autour de la mort comme omniprésente dans la vie.
La mort, la mort, es-tu là ? Faut-il vraiment que nous parlions de la mort ? La simple évocation de son nom suscite la terreur. La mort est là, à deux pas, omniprésente, prête à bondir, à trépasser sur place. Elle s’invite à l’improviste. Dans les yeux de l’enfant, la mort est tapie au creux de la nuit. Elle emporte chats, poissons rouges et grands-parents. L’issue est irrémédiable. Chaque jour de notre vie nous rapproche de notre mort. La mort, la mort ? Je n’ai pas peur de toi ! Regardez-la, la mort embrasse la vie. Je t’aime, je te pardonne, pardonne-moi, je te remercie mille fois. Je veux vivre.
21/ Au passage des mères
Extrait : 8’22’’
∞ Extrait n°15
22/ La mort des SDF : 1re partie
Extrait : 2’34’’ – Là-bas, si j’y suis
Producteur : Daniel Mermet
Journaliste : Giv Anquetil
19 avril 2001 – France Inter – INA
Première émission d’une série de deux : reportage de Giv Anquetil sur la mort des SDF. Témoignage de Jean-Pierre, SDF de 55 ans, qui évoque de bons souvenirs d’un copain surnommé « Tintin » décédé en 2000, ses obsèques et la bénédiction qu’il a organisée pour lui. Il parle du service des « indigents » au cimetière.
23/ Le chœur y est
Extrait : 3’54’’ – Interception
Producteurs : Lionel Thompson, Pascal Dervieux
Journaliste : Sandrine Oudin
Chorale : Au clair de la rue
Chanson : La tendresse – Paroles de Noël Roux, musique de Hubert Giraud – Crédits : S.E.M.I, Paris (France) et Hubert Giraud
3 avril 2011 – France Inter – INA
C’est une drôle de chorale, qui chante faux mais qui sonne juste. Une chorale née à Nantes de la rencontre entre un ingénieur à la retraite et un SDF, un gars de la rue, comme ils préfèrent qu’on les appelle. Ce dernier en avait assez d’assister aux obsèques anonymes de sans logis, enterrés à la sauvette. Un ingénieur à la retraite lui a proposé de monter une chorale pour chanter lors de ces cérémonies et leur rendre un peu d’humanité.
Au clair de la rue : la chorale des sans-abris de l’agglomération nantaise https://www.choraleauclairdelarue.com/presentationchoraleauclairdelaruecom
24/ La mort des plus démunis
Extrait : 2’29’’ – Sur les docks
Producteurs : Saber Jendoubi, Léo Rozé
Réalisatrice : Assia Khalid
Opérateurs de prise de son : Jean-Marie Porcher, Yann Fressy
18 décembre 2013 – France Inter – INA
Documentaire à base de témoignages consacré au travail du collectif « Les morts de la rue » qui veille à offrir une sépulture aux sans-abris morts dans la rue.
Chaque année en France, avec l’arrivée du froid, les médias relatent quasi-quotidiennement le nombre de morts retrouvés dans la rue. Un décompte morbide qui s’intéresse rarement au devenir du corps d’une personne nommée x dont on ne connaît que le lieu et parfois le moment de la mort.
À Rennes, un collectif s’est créé pour que ces personnes, qu’elles aient été riches ou pauvres, ne partent pas dans l’indifférence générale ; pour leur donner un peu de dignité.
Témoignages de parcours individuels, témoignages d’une histoire collective. La mort doit faucher. La canaille et l’homme de biens, le prolo et le saint.
https://www.mortsdelarue.org/
25/ Obsèques de Léon Blum
Extrait : 22’’
∞ Extrait n°3
26/ Cérémonie d’anniversaire de Jean Jaurès au Panthéon
Extrait : 6’’
Journaliste : Jean Quittard
Participant : Léon Blum
31 juillet 1947 – Radiodiffusion française (RDF) – INA
Reportage de Jean Quittard pendant la cérémonie au Panthéon. Discours incomplet de Léon Blum, très ému, évoquant la personnalité de Jean Jaurès.
27/ Le Championnat de France du Panettone
Extrait : 15’’ – L’adresse de François-Régis Gaudry
Producteur : François-Régis Gaudry
17 octobre 2021 – France Inter – INA
Né à Milan, cet incontournable gâteau de la gastronomie italienne connaît un succès grandissant.
28/ Cérémonie d’anniversaire de Jean Jaurès au Panthéon
Extrait : 16’’
∞ Extrait n°26
29/ Le Championnat de France du Panettone
Extrait : 16’’
∞ Extrait n°27
30/ Un Nagra devant Marseille, 1
Extrait : 1’52’’
∞ Extrait n°1
31/ Un Nagra devant Marseille, 2
Extrait : 20’’ -Nuits magnétiques
Producteurices : Jean Couturier, Irène Omélianenko
14 novembre 1990 – France Culture – INA
Montage d’entretiens à Marseille et ambiances sonores.
32/ Au passage des mères
Extrait : 16’’
∞ Extrait n°15
Judith Bordas est autrice pour le théâtre et la radio, dramaturge et plasticienne.
Formée à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon, elle produit des créations radiophoniques en partenariat avec France Culture, la RTBF et la RTS depuis 2013.
Ses créations sonores font l’objet de diffusions ou d’écoutes immersives lors de festivals.
En 2018, elle écrit et produit Traverser les forêts, un essai radiophonique sur la peur ressentie quand on est une femme dans l’espace public. Cette production réalisée avec Annabelle Brouard sur les ondes de France Culture reçoit en 2019 le Prix de l’Oeuvre sonore de l’année de la Scam, ainsi que le Prix Grandes Ondes au festival Longueur d’ondes de Brest et le Prix du Public aux Phonurgia Nova Awards.
En 2020, elle est autrice et co-metteuse en scène avec Annabelle Brouard de Fugueuses, histoires des femmes qui voulaient partir, un road movie sonore et théâtral, en partenariat avec le Théâtre du Point du Jour à Lyon.
Le documentaire radiophonique Par elles-mêmes (L’Expérience, France Culture, 2022), relate une année dans un foyer de l’Aide Sociale à l’Enfance. Ce projet a bénéficié de l’Aide sélective aux autrices et auteurs de podcasts et de créations radiophoniques du Ministère de la Culture.
Elle mène régulièrement des ateliers auprès de publics tenus éloignés des sphères culturelles.
Également plasticienne, son travail est exposé dans différentes galeries en France depuis 2005.
Membre de la Commission du répertoire sonore de la Scam, Judith Bordas a conçu le programme de la Nuit de la radio 2023 – Les morts ne l’entendent pas de cette oreille.
Depuis 2001, les auteurs de la commission des œuvres sonores de la Scam proposent, avec la Nuit de la radio, une expérience unique d’écoute collective, organisée conjointement avec l’INA et Radio France.
Un programme, réalisé à partir d’archives sonores sur un thème renouvelé chaque année, se découvre casque sur les oreilles, sous les étoiles de l’été. Divulguée à Paris pour sa première écoute, la Nuit de la radio s’inscrit également dans la programmation des prestigieux festivals de l’été que sont le FID à Marseille et les Etats généraux du film documentaire, à Lussas.
Le choix des thématiques permet de puiser librement dans l’histoire de la radio et d’inventer un récit singulier libéré des formats et des contraintes chronologiques.
Depuis sa création, la Nuit de la radio a notamment abordé les rivages de l’Ailleurs (2009), L’Esprit des lieux (2014), la censure (Les Oreilles ont des murs, 2010), l’Afrique (2003), les Plaisirs (2013), les Voix des ondes (2005), le Noir (2008), les lendemains qui chantent (Ça ira mieux demain !, 2012), les Ondes de choc (2015), L’adieu aux larmes (2016), Liberté(s) (2017), Le jour tombe, la nuit se lève (2018), Refaire le monde (2019), Avoir 20 ans (2020-2021), Le Panoptique Spatial (2022).
Notre maison se transforme. Dans la foulée du plan immobilier voté lors de la dernière assemblée générale, les locaux de l’avenue Vélasquez vont être rénovés et réorganisés pour créer de nouveaux espaces dédiés aux autrices et aux auteurs. Les travaux débuteront le 1er juillet 2023.
Si notre maison se transforme c’est pour mieux vous accueillir. Le rez-de-jardin, les salles autour de la cour centrale, et au premier étage, la réception et les bureaux de la direction, vont devenir de nouveaux espaces d’information, de détente et de travail. L’actuelle salle du conseil d’administration va être transformée en studios d’enregistrement audiovisuel et radio/podcast à disposition de toutes et tous. Figurent également sur les plans salon-médiathèque, club des auteurs, bibliothèque, espace de restauration… La salle de projection Charles Brabant, du nom de l’un de nos fondateurs, va être remise aux normes son et image, avec un écran plus grand et des sièges plus confortables. Enfin l’espace-accueil va être déplacé et entièrement remanié. Tout cela dans un esprit d’ouverture, de convivialité … et de gratuité.
Cela passe par une période intermédiaire de fermeture, le temps de mener à terme cette seconde naissance, à peu près neuf mois, pur hasard ! La Scam Vélasquez va donc fermer ses portes à partir du 1er juillet. S’ouvre ce temps d’inconfort, propre à toute grande transformation. Il m’apparaît cependant essentiel que nous puissions, durant ces quelques mois, nous retrouver et échanger autour des projections et des divers événements qui nous relient les uns aux autres.
Nous mettons tout en œuvre pour que les aléas de cette transition perturbent le moins possible notre fonctionnement et nous assurerons la pleine continuité des services de la Scam. Ainsi, un espace de travail, aménagé provisoirement tout proche de l’avenue Vélasquez, sera dédié aux auteurs et autrices, substitut provisoire à l’actuelle maison Agnès Varda. Les réunions entre auteurs et autrices se poursuivront dans des locaux temporaires. Les équipes salariées sont hébergées d’une part dans les locaux acquis l’année dernière boulevard Malesherbes et d’autre part dans des bureaux loués le temps des travaux.
Nous vous tiendrons informés de l’avancée du chantier. Si vous souhaitez plus de détails et d’infos, nous vous convions à l’assemblée générale de la Scam, dans les locaux de l’avenue Vélasquez avant leur fermeture, le 21 juin prochain. On s’en parlera de vive-voix.
Et je compte sur vous pour partager la grande fête qui marquera la réouverture des portes de notre nouvelle Scam augmentée à la rentrée 2024.
Rémi Lainé, président
Le prix Christophe de Ponfilly récompense cette année Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, un couple surnommé les Garriberts. Ils ont fondé Les Jours il y a 9 ans avec une bande d’idéalistes, avec l’inébranlable conviction qu’il faut défendre une information indépendante … Aujourd’hui, ils ont fait des Jours une référence : experts dans la bollorisation des médias et de la démocratie et géniaux inventeurs du concept de la série journalistique avec les Obsessions.
Un portrait signé Nathalie Sapena pour notre lettre Astérisque.
Elle, la chevelure flamboyante et le look d’une chanteuse d’opéra. Lui, la boule à zéro et un petit sourire en coin. Le décor : un appartement transformé en rédaction, où on peut fumer sur le balcon, dans un immeuble bas du 19e arrondissement de Paris… Bienvenue dans l’univers d’Isabelle Roberts et de Raphaël Garrigos, deux journalistes qui portent le fer contre Vincent Bolloré depuis les premiers pas du milliardaire dans le paysage médiatique et qui ont osé fonder les Jours, petit média indépendant peuplé d’irréductibles journalistes résistant sans pub à l’envahissement des légions bollorisées des fakes news et des idéologues d’extrême droite…
Roberts / Raphaël / Isabelle/ Garrigos… Leurs noms se mélangent, se confondent, au point de s’amalgamer en une signature devenue célèbre et facile à retenir : les Garriberts, une idée d’un chef de service de Libé. « La rubrique du Dr Garriberts n’a pas duré longtemps, mais le nom nous est resté » ( Isabelle)… « Un duo devenu signature, il n’y aucun équivalent dans la presse, c’est une trouvaille inouïe », dit d’eux leur ami et ancien collègue à Libération Gérard Lefort.
Les Garriberts forment un couple dans la vie comme dans la presse. Ils écrivent à quatre mains, signent tous leurs articles à deux… « A deux, c’est plus drôle pour se coltiner des heures d’Hanouna » (Raphaël). Quand ils parlent, c’est d’un même souffle, une phrase commencée par l’un et terminée par l’autre « On est souvent ensemble » ( Isabelle). Ecrivent-ils comme ils s’expriment ? Personne ne le sait… « L’entité Garriberts » fascine tous ceux qui s’en approchent : « complètement en symbiose », « vraiment intriguant », « un duo baroque », « je les confonds toujours », « jamais vu s’engueuler »… et surtout « tellement drôles »… « Le Dr Garriberts, c’est le guerrier de Malaisie. Crack de la survie, son panache lui promet un grand parcours : exigeant, charismatique, il est devenu le chef naturel de sa tribu ». Voilà comment ils imaginaient leur présentation par Denis Brongniart, l’animateur de Koh Lanta (les Garriberts adooorent l’émission), eux les aventuriers du « Koh Kanapé » qui à l’époque chroniquaient dans Libération les programmes télé… Avec une certaine prescience, finalement, quand on voit ce qu’ils sont devenus : des patrons de presse qui depuis 9 ans font survivre leur petite tribu de journalistes indépendants dans la jungle médiatique…
L’humour est « une distance » dit Isabelle, mais au service d’un regard féroce et visionnaire sur le rôle de la télévision dans la vie démocratique du pays
Nathalie Sapena
« Le métier qu’on voulait faire, c’est journaliste à Libé », dit Raphaël… En 1998, les deux jeunes étudiants envoient une lettre de candidature au journaliste Pierre Marcelle : « vous avez mis des micros chez nous pour écrire ce qu’on disait », écrivent-ils. Ils débarquent dans la foulée comme stagiaires, déjà à deux, déjà différents. Et pas très bien accueillis avec leur look gothique. « Personne ne leur dit bonjour, personne ne leur demande ce qu’ils veulent faire (…) Le journal un vaste bordel, les rapports sont tendus et violents et eux arrivent à la fois très fiers et très impressionnés d’être là », se souvient Gérard Lefort… En 16 ans de Libé, les Garriberts ne connaîtront leur journal qu’en crise –une excellente école pour des spécialistes des médias…
Ils intègrent donc le service média – aux signatures illustres (Gérard Lefort et Pierre Marcelle, mais aussi Olivier Séguret, Mathieu Lindon…) et à l’immense liberté de ton. Ils rient beaucoup, ils font rire. Ils regardent la télé, toute la télé et la racontent, notamment dans leur fameuse rubrique Bourre-Paf. « On voulait parler de la télé que les lecteurs de Libé ne regardaient pas » (Isabelle). Suite de leurs aventures sur leur koh kanapé : « Partis en quête de nourriture télévisuelle sitôt notre arrivée, nous tombons sur une racine comestible mais déjà totalement rance : le Monument préféré des Français, avec Stéphane Bern sur France 2 » (Libération 2014). Et les lecteurs achètent l’édition du week-end exprès pour lire leurs pages – les études marketing le montent… L’humour est « une distance » dit Isabelle, mais au service d’un regard féroce et visionnaire sur le rôle de la télévision dans la vie démocratique du pays…
Ils se consacrent avec rigueur à cette rubrique peu considérée. « A cette période, il y a le mouvement de critique des médias, avec les documentaires de Pierre Carles (*administrateur de la Scam) comme « Pas vu pas pris », dont le service media et eux se saisissent », explique Catherine Mallaval, leur chef de service à l’époque. Ils chroniquent les conférences de presse de rentrée des chaînes de télévision « en journalistes, pour décrypter les enjeux, les jeux d’actionnaires, les frictions en termes de déontologie » poursuit Catherine Mallaval, qui aujourd’hui écrit des séries pour les Jours. Quand Hanouna fait ses premières apparitions médiatiques, ils déchiffrent vite le personnage. « Nous on le trouvait rigolo, pas sérieux… eux ils ont tout de suite compris qu’il était un danger dans un monde qui explosait en mille morceaux, et ils ont planté les crocs dedans », raconte Gérard Lefort.
Après une énième crise (le rachat de Libé par le milliardaire Drahi), ils quittent leur journal adoré. « Ça a été un très grand truc de quitter Libé. On a laissé un mot « Garriberts were here », comme dans Friends » (Raphaël). C’était le 6 janvier 2015. Le lendemain, la rédaction de Charlie Hebdo est massacrée… Ils auraient voulu reprendre leurs stylos, couvrir l’horreur, mais Libé leur dit non. « Le jour où on avait tellement besoin d’être journalistes, on ne l’était plus » (tous les deux).
Le lundi suivant, ils se mettent à travailler sur le concept des Jours… A l’époque, Mediapart vient de gagner 100.000 abonnés d’un coup avec l’affaire Cahuzac… et Rue 89 n’est déjà plus qu’un onglet sur le site du Nouvel Obs. Y-a-t-il une place pour un média en ligne capable de convaincre suffisamment de lecteurs prêts à payer pour des infos indépendantes ? « Il y avait déjà ce sentiment de fatigue informationnelle à l’époque, même si on appelait pas ça comme ça » (Raphaël).
Les deux Garriberts foncent, épaulés par d’anciens confrères de Libé (ils sont 9 associés). « C’était vertigineux, personne n’avait d’expertise entrepreneuriale à part moi », raconte Augustin Naepels, le directeur général des Jours et le seul non journaliste de la bande. Isabelle fait la tournée des investisseurs, trouve les emprunts bancaires, monte le crowdfunding. Raphaël planche sur l’éditorial.
Leur idée est de faire des séries, qu’ils baptisent Obsessions… Une autre façon d’écrire et de raconter l’actu et les faits, du « deep journalisme », du journalisme profond (Raphaël), favorisé par les possibilités immenses du numérique par rapport aux lourdeurs du papier. Ils mettent un soin particulier à la mise en forme, en s’inspirant de Netflix pour organiser la lecture du média sur Internet, et imposent une véritable politique photo. « A l’époque, il n’y avait pas de tarif photo pour Internet » (Raphaël). Pour Pascal Riché, ancien collègue de Libé et co-fondateur du site Rue 89, « appliquer la recette de la série au journalisme est vraiment très novateur, une vraie trouvaille dont s’inspirent aujourd’hui les journaux ». « Les lecteurs aspiraient à cela : se poser, enquêter, avoir des sources », (Isabelle). Le scénariste de la série télévisée « le Village français », Frédéric Krivine, les initie à cette écriture au long cours, aux arches narratives. En 9 ans, plus de 300 séries sont publiées, des longues, des courtes, des faits divers, de la politique avec des titres qui claquent comme House of Tocards, celle qui raconte l’Assemblée nationale depuis la dissolution.
La consécration vient très vite, avec le prix Albert Londres pour la série « Les Revenants » de David Thomson (publiée ensuite dans un livre) en 2017, des récits de djihadistes français de retour de Syrie. Le prix a une résonance toute particulière pour les fondateurs des Jours, comme ils l’écrivent sur leur site, en évoquant « la rencontre de deux journalismes qu’un siècle sépare : le feuilleton journalistique, cher à Albert Londres, et celui des Jours, (…) qui, par sa narration empruntant au langage des séries, parle à l’époque ». C’est la première fois qu’un « pure player », un media numérique, est récompensé.
« Au début on n’avait pas vu venir la croisade idéologique ». « Mais après, quand on a réalisé, tout faisait sens : la suppression des Guignols, du zapping, de l’investigation ». « C’étaient les premiers trophées ».
Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos
Mais leur meilleur scénariste, « c’est Vincent Bolloré » (Raphaël et Isabelle en chœur). Palme de la plus longue série, L’Empire, 225 épisodes depuis 2016 (plus les 69 pour L’Héritier, Arnaud Lagardère), des rebondissements innombrables au fur et à mesure qu’il avale les médias… « Si on peut faire cette enquête-là, c’est uniquement grâce à nos enquêtes de fond et à notre modèle éditorial des séries… » (Isabelle) « … qui est un super outil d’investigation. Ce n’est pas un artifice. On enquête de la même façon avec le Rassemblement national, par exemple » (Raphaël). Le duo, en plus de diriger l’entreprise pour elle, et la rédaction pour lui, continue à écrire chaque semaine sur son « méchant préféré »… Qui étonnamment ne leur a jamais fait aucun procès, lui qui a multiplié les procédures baillons contre France 2 ou France Inter. Malgré toutes ces années à lui coller aux basques, les Garriberts n’ont rencontré leur super méchant préféré qu’une fois en vrai, lors d’une conférence de presse en 2016. « Ce jour-là, j’ai piqué chez Vivendi un cendrier en cristal de sèvres ébréché » (Raphaël va le chercher sur son bureau). « On a son numéro de téléphone, mais il ne répond jamais » (Isabelle).
Dans l’épisode 6, le 21 février 2016, les Garriberts sortent un scoop, qui va servir de grille de lecture à toute la stratégie à venir du milliardaire. Ils mettent la main sur le compte-compte rendu d’un comité de management à Canal +, au cours duquel Bolloré vire en direct la DRH du groupe Canal +. « La haute direction d’une grande maison mérite un peu de terreur, un peu de crainte (…) La terreur fait bouger les gens », explique le grand patron à ses nouveaux sujets.. Les Garriberts écrivent : « Bolloré a prévenu : pendant cette période, il y aura une secousse à la tête et une stabilité sur le corps. Ce qui est, il faut le reconnaître, une assez bonne définition de la guillotine ». Le mode opératoire du milliardaire est en place, il va ensuite le dupliquer impitoyablement dans chaque média qu’il « bollorise » Itélé, le journal du dimanche, Europe 1, Paris Match… Les Garriberts deviennent des psys pour journalistes en souffrance du groupe Bolloré « car même chez C News, tout le monde n’est pas embrigadé » (Raphaël).
« Au début on n’avait pas vu venir la croisade idéologique (Isabelle). « Mais après, quand on a réalisé, tout faisait sens : la suppression des Guignols, du zapping, de l’investigation » (Raphaël). « C’étaient les premiers trophées » (Isabelle). Le tournant a eu lieu en 2019, avec l’arrivée de Zemmour, propulsé candidat à la présidentielle. Hanouna devient politique, pour le pire, et Bolloré le sérial killer trucide les rédactions, les unes après les autres, pour les transformer en force de frappe d’extrême-droite et catholique intégriste.
« Aujourd’hui l’édito de Pascal Praud donne le ‘la’ de la journée » (Raphaël). « Même le service public cite le JDD » (Isabelle). Les Garriberts, avec leurs enquêtes méthodiques et fouillées, nourrissent le débat public. Des combattants ? « Ce sont des journalistes, mais c’est une forme de combat, qui ne se déroule pas à armes égales. Nous on fait du journalisme, eux de la propagande », explique Augustin Naepels, le directeur financier des Jours. Et cette propagande puissante impacte directement le fonctionnement démocratique du pays. « Le JDD est dangereux quand, à la veille du 2e tour des élections législatives, il annonce qu’Attal va retirer le projet de loi sur l’immigration, alors que c’était tout simplement faux » (Raphaël). « Une manipulation » (Isabelle) dont se saisit immédiatement Jordan Bardella, le président du RN. Manipulation aussi quand Emmanuel Macron défend Gérard Depardieu en reprenant une ‘information’ donnée par Hanouna qui prétend que le montage du Complément d’enquête serait manipulé. « Le personnage le plus important de l’Etat va prendre ses infos chez Cyril Hanouna » (Isabelle).
«La plupart des médias Bolloré perdent beaucoup d’argent. Nous, avec notre million de budget annuel et nos 11 salariés, on lutte pour être à l’équilibre. David contre Goliath ». Les temps sont durs pour les médias qui naviguent à vue, les lecteurs changent, la distribution est aux mains des plateformes et de leurs algorithmes opaques. « Quels articles arrivent devant les yeux des lecteurs ? on n’en sait rien », poursuit Augustin Naepels. Les Jours, le plus gros des petits médias indépendants, fédèrent actuellement 10000 abonnés, en hausse depuis la dissolution. Ils ont pour la moitié moins de 35 ans, un lectorat différent de celui de la presse, masculin de plus de 60 ans. « Certains de nos abonnés offrent même les Jours à leurs parents. Le but est de grossir, de grandir, d’embaucher » (Isabelle).
Les Garriberts sont-ils heureux ? « Comme des Sisyphe du journalisme, ils poussent le rocher de l’indépendance. Ils croient en ce qu’ils font et ce n’est pas facile tous les jours », reconnaît Augustin Naepels… Le mot de la fin sera pour leur ami Gérard Lefort : « Sur Bolloré, ils devraient avoir des médailles de salut public … Longue vie aux Jours, longue vie aux Garriberts » !
Parcours d’une autrice engagée, lauréate en 2024 de la bourse Albert Londres « web vidéo ».
Un portrait signé Marianne Rigaux pour notre lettre Astérisque.
En avril 2024, elle remportait la première bourse Albert Londres “web vidéo” destinée à soutenir des projets journalistiques destinés au web. Une reconnaissance de taille pour cette autrice engagée de 35 ans qui a quitté les médias traditionnels pour investir Internet avec des vidéos engagées.
Au creux de sa paume gauche, elle a tatoué un mot : “autrice”. Sur les phalanges de sa main droite, un autre mot : “punk”. Voilà qui résume bien Marine Périn. Sur Internet, vous la trouverez sous le pseudo Marinette, son surnom au lycée. Voilà bientôt 10 ans qu’elle pratique le journalisme – son journalisme – sur sa chaîne YouTube “Marinette – femmes féminismes” suivie par plus de 43 000 personnes. Là encore, ces deux mots racontent bien son créneau. La première fois que j’ai vu Marine, elle exhibait fièrement ses abdos dans une vidéo, en avril 2016. “Je suis une femme. Et j’ai des abdos”. Ainsi s’ouvre cette vidéo, dans laquelle elle livre, depuis sa salle de bain, une réflexion face caméra sur les idéaux de beauté qui pèsent sur le corps des femmes. « Neuf ans plus tard, c’est toujours la vidéo la plus vue de ma chaîne! », rigole la journaliste depuis le salon de son appartement parisien. Un salon à son image : chaleureux, affirmé, éclectique. Deux chats, des dizaines de plantes vertes et un litre de tisane accompagnent nos trois heures de discussion. Marine adore parler, autant qu’elle aime écouter.
Le journalisme a été une évidence pour elle. Après des études de lettres à la Sorbonne, direction l’Ecole de journalisme et de communication d’Aix-Marseille d’où elle sort en 2013. Elle enchaîne stages, piges et contrats dans des médias traditionnels pendant trois ans, avant de dire adieu aux reportages télé formatés et de rejoindre un espace d’expérimentation bien plus excitant : YouTube. « A l’époque, aucun média ne me permet de faire ce que je veux. Brut n’existe pas et le documentaire me paraît inaccessible. Je commence alors à suivre les chaînes de Ina Mihalache (Solange te parle) et Casey Neistat aux Etats-Unis, qui défendent le droit de casser les codes. Puis je découvre Manon Bril (C’est une autre histoire) et Clothilde Chamussy (Passé sauvage) qui font de la vulgarisation dans les sciences humaines. Dès le début, je sais que je veux parler des droits des femmes », se souvient Marine.
YouTube devient son “laboratoire”, comme elle dit. Sur sa chaîne engagée, politique et militante, elle développe différents formats : édito (sur la musculature), documentaire (sur l’accès à l’IVG), analyse (sur la culture du viol), série (sur le corps des femmes). Ses vidéos pleines de références sociologiques et littéraires font se croiser l’intime, le politique et le journalisme. Sa chaîne décolle dès la deuxième vidéo – le fameux édito sur les abdos – grâce aux partages d’autres créatrices de contenus. « A l’époque, l’algorithme poussait beaucoup mes vidéos : la moitié de mes audiences venait des suggestions. Et les vues se convertissaient très facilement en abonnements. Toutes les chaînes ne décollaient pas pour autant. Je me souviens d’une ambiance très “colo” dans les débuts de YouTube. C’était un milieu particulier, où mes potes étaient aussi mes concurrents », raconte Marine.
Pour passer à la vitesse supérieure, elle se plie à un exercice fastidieux : écrire ses projets et postuler à des financements. Elle qui avance de manière intuitive se retrouve à peaufiner des dossiers. Et ça paye. En 2019, elle participe à la résidence #EllesFontYouTube, un programme de YouTube France pour soutenir les créatrices sur Internet. Elle en sort avec une bourse de 15 000 euros et un prêt de matériel qui lui permet de mettre en ligne sur YouTube, en 2020, son premier documentaire autoproduit : Traquées. Ce film de 70 minutes dépeint l’usage de la technologie comme moyen de pression, de surveillance et de violence au sein d’un couple. D’après elle, c’est le véritable tournant de sa carrière, « parce que Canal+ l’a acheté… et surtout j’ai pu payer des gens ». Ce projet l’amène à collaborer avec Clémence Plaquet, cheffe opératrice, et Yasmina Jaafri, cheffe monteuse, deux femmes qui vont devenir sa garde rapprochée, tant pro que perso.
Clémence, qui vient de la fiction, se souvient d’une plongée dans l’inconnu. « Je n’avais pas l’habitude de travailler sur du “vrai”. Le sujet était dur, prenant émotionnellement parlant. Marine voulait partager au plus grand nombre les expériences intimes et douloureuses de ces femmes, pour combattre les cyberviolences par la transmission des savoirs et des expériences. Marine, c’est un soldat. Elle met sa force, sa passion et sa colère au service de ses projets ». Pour Yasmina, le défi est de taille aussi. Le petit budget couvrait une dizaine de jours de montage dans les locaux de YouTube France pour sortir 70 minutes. « Ca ne me dérangeait pas de ne pas compter mes heures, parce que ça me permettait de découvrir ce milieu. Contrairement à l’industrie audiovisuelle d’où je venais, il n’y a pas de validation et de filtre autres que celui de la réalisatrice. On a mixé les codes, entre l’enquête vloguée et les passages documentaires, réfléchi à comment mettre en scène Marine. On a travaillé en totale horizontalité toutes les trois ». C’est après Traquées que Marine se fait tatouer “autrice” dans la main, comme pour auto-valider qu’elle l’était bien, désormais.
En 2022 sort Dans la place, une série documentaire, en quatre épisodes, sur quatre jeunes filles issues des quartiers populaires… et co-réalisée par elles-mêmes. Un projet financé par le CNC Talent et la bourse Brouillon d’un rêve documentaire de la Scam. Au-dessus de son bureau, Marine a accroché un souvenir de son tournage au pied des tours de Nanterre. Après ce second projet réalisé lui aussi avec Clémence et Yasmina, viendra Punchlineuses, une collection de vidéos courtes qui décortiquent une phrase marquante des luttes féministes. Là encore, Clémence filme. « Marine et moi, c’est une histoire d’amour ! Elle est bienveillante, dans l’empathie, dans l’écoute, tout en étant exigeante. Mais elle est vraiment dans l’échange, elle considère qu’on est toutes sur un même axe horizontal, que tout le monde a son mot à dire. Et puis travailler entre filles, c’est formidable ». Entre deux projets, le trio se retrouve pour des vacances, sans caméra
Neuf années se sont écoulées depuis sa première vidéo. Marine s’est professionnalisée, équipée en matériel, blindée contre les commentaires haineux. Car elle en a reçu des wagons, comme la plupart des créatrices de contenus. Elle s’est déployée sur d’autres plateformes : Twitch pour animer des lives et une revue de presse féministe ; Instagram et TikTok pour créer des vidéos verticales qui touchent d’autres publics. Le constat est sans appel : « Depuis 2016, mes abonnés YouTube ont vieilli, comme moi ! Mais sur TikTok, mon audience a entre 18 et 25 ans ! ». Ces nouveaux canaux deviennent de nouveaux terrains de jeu pour Marine, qui affirme ses positions politiques, contre la montée de l’extrême-droite ou en soutien à Gaza. « L’algorithme de TikTok est magique : je fais mes plus gros scores ever. Sur Instagram, la recommandation marche à plein régime, ce qui m’a rapproché de créatrices qui ne sont pas sur YouTube, féministes parisiennes et plus militantes ».
Dès le début, je sais que je veux parler des droits des femmes.
Marine Périn
Marine fait partie du collectif de journalistes féministes Les Journalopes. Là encore, une bande de filles, qui est devenue sa garde rapprochée. Principalement des pigistes de presse écrite, à qui elle fait découvrir les plateformes. Comme Laurène Daycard, qui publie principalement des enquêtes sur du papier. « L’arrivée de Marine a apporté un vent d’air frais et de la diversité. J’admire la façon dont elle utilise les nouvelles plateformes, le lien qu’elle tisse avec sa communauté, sa créativité. Elle incarne une façon de faire le journalisme qui est émancipée de l’approche traditionnelle. J’ai été très heureuse qu’elle gagne la bourse Albert Londres. C’est important que des institutions et la profession soutiennent ce genre de journalisme et ce genre de voix », confie Laurène au téléphone. Ce jour-là, elle et Marine se trouvent à l’Institut européen de journalisme (IEJ), une école parisienne où elles interviennent régulièrement. Depuis 2019, Marine y enseigne le journalisme sur YouTube et Instagram. De quoi assurer des rentrées financières stables en parallèle de la production vidéo.
Car l’argent reste le nerf de la guerre pour perdurer en tant que vidéaste. « C’est le grand paradoxe des créateurs, résume Marine : on ne gagne pas notre vie avec les contenus, mais on doit produire pour être visible… et gagner notre vie. YouTube n’est qu’une vitrine au final ». Ces derniers temps, elle se concentre sur des formats web pour des diffuseurs traditionnels, avec deux projets qu’elle mène de front. D’un côté, The rabbit hole, une série d’enquête sur la sphère masculiniste pour TikTok et Instagram, développée avec les 8 000 euros de sa bourse Albert Londres. De l’autre, une série documentaire en animé en préparation avec ARTE. Elle y consacrera sans doute quelques nuits blanches, en écoutant de l’ASMR pour se concentrer. De son propre aveu, elle procrastine beaucoup et redoute « tout ce qui se passe avant midi ». Quand elle ne travaille pas, elle fréquente un cours de hip hop, part randonner, voit des gens et lit, principalement des autrices, si possible aussi punk qu’elle.
Il y a des artistes qui s’illustrent par leurs succès. D’autres dont la vie est le chef d’œuvre. C’est le cas de Rezvani. Portrait du lauréat du prix Marguerite Yourcenar 2025 pour l’ensemble de son œuvre.
Et découvrez à la fin de ce portrait la vidéo « ConversationS » entre Serge Rezvani et Isabelle Jarry.
Si je devais faire un film sur lui, je débuterais par un travelling sur le générique d’une de ses chansons, Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerai toujours, Ô mon amour, Jamais tu ne m’as promis de m’adorer toute la vie. Il y aurait un jeune homme brun et une jeune femme toute aussi brune, cheveux dans le vent, chevauchant une antique et trop grosse moto ; le jeune homme lâcherait le guidon en gardant les bras en l’air, elle aurait peur et la moto tanguerait sur un chemin tout blanc de la poussière de l’été, parmi les chênes liège et les oliviers sauvages, et il crierait Luuuuulaaaaaaaaaaaaaaaaa ! et elle rirait, effroi et jubilation mêlées.
Ensuite apparaîtrait le titre en grand, Rezvani, ce nom qui est devenu un prénom, suivi de ces prénoms dont il change, c’est selon : Boris, comme son père l’appelait, Cyrus, dans ses mails aujourd’hui, Serge, ça allait plus vite pour ses papiers, Cham, un alter ego pour ses écrits – même si Lula, la femme de sa vie – les autres aussi, celles qui l’ont tant aimé –, l’appelait Mon Amour, car c’est ce qu’il est. Un amour de mec, peintre, chansonnier, écrivain. Poète. On le connaît sans trop savoir qui il est, il fait partie d’une France qu’on a adorée, celle des bohèmes de Montparnasse, des artistes sans le sou qui soudain avaient le monde à leurs pieds, des nouvelles vagues qui ont tout chamboulé, et des fées. Anna Karina, Jeanne Moreau, ces filles qui nous ont troublés, qu’on a détaillées au plus près pour essayer de comprendre où la magie se nichait, là où il n’y avait qu’une grâce infinie, une voix, un accent, une allure, une bouche et des yeux. La mémoire qui flanche, Le tourbillon de la vie, Le blues indolent, autant de chansons qui ont marqué nos vies. Mais qui sait vraiment ce qui se cache dans cet homme qui a traversé le siècle – il est né au printemps 1928 –, qui a tout dit de lui et de ses idées et de ses sentiments sans jamais, vraiment, se dévoiler ? Qui sait ce que cet homme pense et fait, lui qui pense et crée sans cesse depuis si longtemps que ses contemporains sont devenus parfois légende et mythe, et plus souvent poussière et oubli ? Rezvani, lui, est toujours là comme une sentinelle, un type debout qui ne laisse, jamais, rien passer sans l’analyser, le réfléchir, miroir des ères, héros du quotidien. Et dont la filiation a fait un redoutable témoin des époques à peine passées.
J’ai utilisé le mot magie quand c’est charme qu’il eût fallu employer. Charme qu’il a dangereusement hérité de son père, auquel dans son œuvre écrite – plus de quarante romans, quinze pièces de théâtre, deux recueils de poèmes – il rend souvent un hommage bouleversant, bouleversé. Né en 1900 à Ispahan, Medjid-Khan était danseur dans les Ballets russes, magicien renommé et auteur d’ouvrages sur la prestidigitation et les arts du spectacle, traducteur de Molière du russe au persan, ami éphémère de Picasso, père de substitution de Roger Vadim, qui l’adorait. Rezvani aussi adore son père ; il le déteste tout aussi bien. Il l’aime comme un fou, son père non plus. Il a de la compassion pour lui, il pourrait le tuer. Son père, c’est la vie dans tout ce qu’elle a de plus drôle, venimeuse, enchantée, mensongère, sentimentale et sans pitié. Si son père est une étoile désaxée, sa mère est une douleur qui ne file sous les cendres que pour mieux redoubler d’intensité, feu qui couve et ne se consume pas.
Adèle, violoniste juive émigrée de Russie, adepte du mage Gurdjieff, miraculée des frontières entre Révolution et Nouveau Monde, est un fantôme qu’on poursuit sans pouvoir l’attraper. Elle s’installe en France avec son fils alors qu’il n’a qu’un an ; et jusqu’à l’âge de sept, Serge ne parlera que le russe, sa langue maternelle. Rezvani me dit, au détour d’une balade aux jardins du Luxembourg : Je dormais à ses côtés dans le même lit, enfoui dans ses bras. Elle était charcutée, le corps défait par des opérations successives, un morceau de sein ôté, puis un autre et un autre. Elle me murmurait les noms de tous ces gens que je ne connaissais pas, elle me parlait d’eux pour les faire exister à travers moi, pour elle qui, bientôt, n’existerait plus du tout.
En moi se battaient la vie furieuse de mon père, la mort furieuse de ma mère. (Pardon, Serge, de ne pas me souvenir des mots exacts, mais je ne pouvais pas les noter, juste les enregistrer dans ma tête pour plus tard, pour les écrire ici, pardon s’ils ne sont pas exactement ceux que tu as prononcés ; mais ce sont ceux que j’ai ressentis.)
Adèle, cette louve qui se couche toute nue contre son fils, comme une bête sauvage avec ses petits, meurt en 1938, après quoi le môme de dix ans est récupéré par son père en Suisse, puis mis en pension. Rezvani revient souvent sur son enfance abandonnée, sur le refuge incertain du foyer paternel, et encore le père est là, si présent dans ses paroles, cet homme à femmes, fait pour le lit pas pour le lait comme on le dit des mères indignes, lui qui a délaissé l’orphelin pour, chaque fois qu’il s’enfuyait, l’attraper à nouveau dans ses rets – le re-charmer. Est-ce pour cela que lorsque je demande à Rezvani à quel moment de son existence il reviendrait s’il avait une baguette magique, il me répond sans hésiter : Au moment où j’ai rencontré Lula. À ma petite chambre de bonne glacée où j’ai déshabillé Lula pour la première fois.
Notre lit, notre lit, notre lit, dont les draps tièdes sont imprégnés du parfum si particulier de Lula, notre lit au creux unique creusé à force d’étreintes et de sommeil corps contre corps, souffles mêlés, bras et jambes enlacés, ventre contre ventre, cambrés, désespérément noués l’un à l’autre jusqu’au plus profond du plus profond sommeil, conscients de notre mutuelle présence avec la peur, la peur obscure d’être arrachés, écartelés l’un de l’autre, peur animale je le sais bien, peur enfantine que nous gardons en nous depuis ce premier jour où nous nous sommes connus.
Quelle veine, quand-même, cher homme ! Nous rendre addicts depuis si longtemps à cet amour dingue, cet amour exaspérant de beauté, nous qui n’avons souvent eu que les miettes rêvées de l’amour, car non, un grand amour ne se rencontre pas à tous les coins de rue, un grand amour est impitoyable, c’est un monstre mythologique, il faut lui sacrifier autant qu’il vous donne ; il vous avale et vous recrache cinquante ans après.
Cinquante ans, ou à peu près : telle est la durée de l’histoire entre Serjoja et Lula.
Rezvani, lui, est toujours là comme une sentinelle, un type debout qui ne laisse, jamais, rien passer sans l’analyser, le réfléchir, miroir des ères, héros du quotidien
Simonetta Greggio
J’arrête d’écrire, fasciné par ses gestes tant aimés, ses gestes tant et tant de fois répétés depuis ce jour où, dans ma chambre glacée, après notre première étreinte, Lula, ma gracieuse et rieuse Lula, avait fait sa toilette de chatte devant la pâle fenêtre voilée de givre – extrait du Testament amoureux, rédigé alors qu’il a une cinquantaine d’années et qu’il fait un premier bilan de sa vie, Lula encore à ses côtés dans sa demeure révérée, la Béate, maison des Maures sublimée dans tant d’écrits. Danièle Adenot, née en 1930, rencontre Rezvani en 1950, se marie avec lui, vit avec lui, parle écrit peint danse dort mange respire avec lui jusque dans les années 90, lorsqu’elle commence à s’échapper de la vie, un Alzheimer redoutable de cruauté pour cette femme qui, doucement, se laisse conduire à l’abattoir de l’oubli jour après jour, laissant derrière elle Maki le chien, la chatte Flore des Flores, la maison Béate, et son amoureux : Elle dénoue ses bras de la taille du jeune homme brun et se laisse choir de la grosse et vieille moto.
Au détour de cette promenade aux jardins du Luxemburg, Rezvani me dit : Elle me murmurait, Mais qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas, et pourtant… Vous ressemblez si fort à un homme que j’ai tant aimé autrefois, vous savez…
Qu’est-ce qui est mieux ? Perdre celle qu’on aime parce qu’elle s’efface au fil des saisons, disparaissant enfin tout à fait, ou qu’elle vous quitte d’un seul coup de rasoir, net, blanc, féroce, comme aspirée par un ciel rouge de sang, au coucher ? Rezvani se tait à ce moment-là de notre conversation. Ce silence, pour celui qui aime tant les mots, dure longtemps, entrecoupé de mots inaudibles et comme prononcés pour lui seul. L’Éclipse, l’un de ses livres, parle de cette époque où tout s’écroule : et la Béate bien aimée, où chaque brin d’herbe, chaque branche d’arbre, chaque tapis lampe fauteuil chaise tableau bibelot livre casserole pot de fleur verre à eau parle d’un amour sans fin – prend fin. Il me dit : J’aurais pu mourir, moi aussi. J’aurais dû mourir, d’ailleurs, pour certains de nos amis. De ne pas m’être jeté dans le bûcher des veufs en a éloigné certains, à jamais. J’ai survécu, et j’ai de nouveau aimé, et l’on ne me l’a pas pardonné. Que savent-ils de ce qui se passe dans un cœur d’homme ? Croient-ils qu’un amour efface l’autre ? Ils en sont là, vraiment ?
Rezvani est né au printemps 1928. Je l’ai déjà dit. Nous sommes au printemps 2025. Voici, extraits de son dernier recueil de réflexions encore inédit, ce qu’il écrit sur notre monde : Que voyons-nous ? Des arbres, des fleurs, des océans, des montagnes enneigées. En effet, vus d’en haut, ses lacs miroitants, ses arbres fruitiers, ses prairies fleuries, ainsi que ses forêts et ses rivières, rendent cette Terre apparemment telle qu’elle a toujours été. N’est-ce pas merveilleux ? Elle est encore bleue ! Et pourtant, c’est bien ici et en ce moment que se joue le dernier acte de la grande comédie humaine du mensonge et de la dislocation du réel. Selon l’effrayante prédiction de Karl Kraus : « Au cœur même de la haute culture occidentale chrétienne, nous ferons des gants avec de la peau humaine. » Phrase d’une force prémonitoire avérée puisque, aujourd’hui, plus que jamais c’est gantés de peaux humaines que les États marchands d’armes signent des accords sanglants. Par notre prise de conscience, pourrait – on ralentir ? Le tact de cœur ancestral du féminin pourrait-il nous aider à l’espérer ?
Je voudrais terminer ainsi le film REZVANI, avec l’image d’une Terre bleue comme une orange qui tourne doucement sur elle-même devant la caméra s’élevant dans un ciel qui peu à peu devient noir, se perd au milieu d’un tourbillon d’étoiles toutes dorées pour devenir une poussière.
Et puis plus rien.
Il y a des artistes qui s’illustrent par leurs succès. D’autres dont la vie est le chef d’œuvre. C’est le cas de Rezvani. Peintre de formation, il se fait d’abord connaître dans les années 1950 pour ses tableaux avant de s’imposer comme écrivain, dramaturge et parolier. Sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak il écrit des chansons culte, notamment « Le Tourbillon », immortalisée par Jeanne Moreau dans Jules et Jim de François Truffaut. Il collabore aussi avec Anna Karina pour plusieurs chansons dans les films de Jean-Luc Godard. Son théâtre explore les liens humains et les blessures du passé. En littérature, il signe des romans autobiographiques libres, introspectifs et sensuels, dont L’Origine du monde ou Éden, Éden, Éden. D’autres romans, plus récents, restent inédits.
Rezvani n’a pas encore dit son dernier mot.
Jurée du prix Marguerite Yourcenar, Simonetta Greggio est membre de la commission de l’écrit de la Scam. Romancière italienne aux multiples talents, Chevalier des Arts et des Lettres, un temps journaliste pour City, Télérama, Magazine Littéraire, Figaro Madame, La Repubblica, Marie France, Signature, Senso, elle manie à merveille les mots et l’art de « fabriquer des histoires ».
Non loin d’un lieu parisien chargé d’histoire – la place de la Nation –, au bout de l’appartement, côté boulevard de Picpus, voici son bureau. Il lui ressemble : ouvert au grand large et pourtant très intime, avec une pointe de mystère. Il donne sur un balcon où trône un jasmin en pot, récupéré dans une province française mais doté d’une qualité rare : « Il a le même parfum que là-bas, en Tunisie… »
Ici et ailleurs, au-dedans et au-dehors, chez soi et chez autrui ; néanmoins toujours sous le même toit de l’humanité. Telle fut, est et sera Colette Fellous.
Tout a commencé à Tunis, où elle naquit en 1950 : « À 7 ou 8 ans, j’allais sur le balcon et je regardais au loin sur la droite tout en me disant que si je marchais tout droit, je ferais le tour du monde. »
Quitter de plein gré un univers déjà empli de livres. Laisser derrière soi des parents attentionnés qui lui projetaient sur le mur de sa chambre, à l’aide d’un Pathé-Baby, des films de Charlot. Aller étudier à Paris, comme ses aînés, une fois le baccalauréat en poche.
Voilà un destin tout tracé, qui semble s’accélérer en juin 1967, lors des manifestations contre Israël organisées à Tunis durant la guerre des Six-Jours. Colette comprend sur-le-champ qu’elle est juive. Elle est à l’intérieur de la demeure, dans le quartier de la synagogue. Sa mère lui demande d’aller fermer les volets. Elle aperçoit, à l’extérieur, un homme, dans le défilé de la colère, qui la toise en mimant un égorgement.
Malgré le désir lancinant de partir, en dépit de la violence finale d’un geste scélérat inconcevable – tant sa famille, laïque, n’entretenait aucun lien avec Israël et n’avait pour horizon que la France et surtout sa langue –, la jeune femme se repasse dans la tête, une fois à Paris, non pas les courts métrages de Chaplin mais cette vie passée, à Tunis.
Alors, l’ennui diffus de son enfance se transmue en beauté inassouvie. Alors, elle se rend compte qu’elle est double, triple, quadruple : à la fois céans et autre part. Ces oscillations, fluctuations et balancements deviendront la matière des livres qu’elle écrira et des émissions de radio qu’elle produira sur France Culture. Colette Fellous, ou l’ère du roulis…
« Délicatesse » était un mot prisé par Roland Barthes et qu’elle a fait sien, l’air de rien. Amie de la nuance, Colette Fellous pardonne les offenses et cultive le « revenez-y » émancipé, plutôt que l’amertume qui nous enchaîne à nos tourments.
En attendant, la voici en Sorbonne, étudiant la littérature comparée et l’italien, comme pour retrouver la multiplicité des langues et leurs coudoiements au sud de la Méditerranée. Elle se ménage deux « cocons » : la bibliothèque de l’université ainsi que la cinémathèque d’Henri Langlois nichée dans le palais de Chaillot.
Après le chambardement de Mai-68 vécu aux premières loges, dans un état d’émerveillement pondéré comme d’excitation réfléchie, il faut songer à la suite. Cependant qu’elle a en main S/Z, l’essai que Barthes vient de publier sur Balzac, Colette Fellous croise au Quartier Latin Pascal Bruckner, qui lui parle des séminaires qu’anime le fabuleux sémiologue, tout en lui laissant peu d’espoir d’intégrer l’un des trois groupes, tant sont privilégiés les dispositifs restreints.
Qu’à cela ne tienne, l’étudiante téléphone à Barthes : « À l’époque, nous avions tout le monde au bout du fil, directement : “Allô Godard ?! Allô Duras ?!” »
Le mandarin de l’École pratique des hautes études la reçoit, tout en lui déclarant qu’il ne saurait l’accepter. Colette désespère : « J’étais face à celui que je lisais avec passion, avec lequel j’avais l’envie passionnée de travailler. Il me regardait tout en m’opposant un refus courtois avec un sourire désolé. J’ai tenté l’impossible, qui m’est passé par la tête, avec cette phrase : “Je ne vous dérangerai pas, j’ai besoin d’une présence lointaine.” La formule lui a plu, il a ri et dit : “En ce cas, d’accord.” »
Plus tard, Colette Fellous expérimentera la capacité dont fait parfois montre sa parole, performative. Claude Lévi-Strauss lui refuse-t-il de participer à une émission de trois heures de France Culture, « Le Bon Plaisir » ? La solliciteuse, avisant le bric-à-brac prodigieux qui entoure le vieil anthropologue, lui soumet soudain l’idée de partir des objets qui lui sont chers, plutôt que de se focaliser sur lui et de se lancer dans une énième exploration chronologique de son parcours. Banco !
Dans un autre ordre d’idée, il suffira de proposer un beau jour à la propriétaire de l’immeuble dans lequel elle louait un appartement, depuis des lustres, d’acheter le bien pour que la bailleuse, jusqu’alors rétive à l’idée de vendre, revienne vers elle avec une réponse positive. Colette Fellous, ou la maïeutique magnétique…
Au début des années 1970, Barthes s’avère autant une révélation qu’un tremplin : « Il nous a ouvert à l’idée, assez inédite en ce temps-là, que tout pouvait être sujet, tout ce que nous vivions. Qu’il n’y avait plus de différence entre notre existence et la littérature – tout en nous convainquant que l’ensemble des disciplines étaient liées, de la science à l’histoire en passant par la psychanalyse. Et la musique, bien sûr : les sons et la voix, sur laquelle portait son séminaire. C’est ainsi que je suis entrée à la radio, indirectement grâce à Roland Barthes. »
Plus directement, c’est René Farabet (1934-2017), pape de l’« Atelier de création radiophonique » à France Culture, qui lui met le pied à l’étrier des ondes inouïes. Le désir d’une émission apparut à Colette comme une intuition, à l’écoute d’une musique propre aux derviches tourneurs. Instantanément, la Tunisie lui revint en tête.
Pourquoi ne pas tenter de bâtir une ronde autour de la mémoire et des sensations ? Cela devait donner une tentative première intitulée « Le Cercle », diffusée en 1980, alors qu’elle a tout juste terminé son premier livre, Roma, un récit choral situé dans la capitale italienne où les langues se délient. Colette Fellous, où le surgissement de paroles recueillies et choyées…
France Culture et l’édition, deux sillons creusés, en parallèle, près de quatre décennies durant, non sans découvertes parfois insolites. Les droits d’auteur, par exemple : René Farabet, dans une sorte de confusion amène, déclarait et percevait ce qui eût dû revenir à l’autrice, finalement affranchie par la bande et inscrite à la Scam – à laquelle elle voue la reconnaissance de qui fut reconnue.
Il y a chez elle une quiétude professionnelle rare – tant les femmes de sa génération durent, a contrario, en découdre et ferrailler. Colette Fellous a simplement bénéficié de la bénévolence de Jean-Marie Borzeix à France Culture, comme d’Isabelle Gallimard dans la galaxie Gutenberg. Elle se retrouva productrice-coordinatrice des « Nuits magnétiques » à la radio, ainsi que directrice de la collection « Traits et portraits » au Mercure de France. Sans coup férir.
Toutefois, elle découvrit ce qu’induit le pouvoir non plus seulement de faire, mais de faire faire. Il faut l’entendre, sans fausse naïveté, avec plutôt une lucidité blessée, décrire la farandole de gens intéressés qui se forma autour d’elle. Au « Ondes », le café des abords de la Maison de la Radio, on l’approchait comme une sommité : « Je peux te déranger un instant ? »
Cela en dit aussi long sur la précarité de certains métiers que sur la nature humaine, souvent prête à se plier à une dialectique dominant-dominé toujours recommencée.
Colette Fellous est l’une des rares personnes à ne pas s’être dissoute dans la relation d’emprise prédatrice qu’engendre un poste de responsabilité. Quand Laure Adler l’a délogée des « Nuits magnétiques », en 1999, pour remettre les clefs de l’émission à Alain Veinstein, Colette n’a guère bronché.
Elle s’est attelée à produire « Carnet nomade », une invitation au voyage à partir d’objets, de sons, d’associations d’idées, d’éclats de mémoire, de mots sur le bout de la langue et de rêves inachevés : une mosaïque récapitulative, gorgée de réminiscences barthésiennes et de prémonitions fellousiennes.
Et lorsqu’en 2015, un directeur de rencontre, Olivier Poivre d’Arvor, l’effaça de France Culture, la productrice partit sur la pointe des pieds, acceptant même un peu plus tard, de son licencieur propulsé ambassadeur de France en Tunisie, une invitation à présenter son œuvre dans les murs de la représentation diplomatique, au nom d’une certaine idée du partage culturel à rebours du ressentiment.
« Délicatesse » était un mot prisé par Roland Barthes et qu’elle a fait sien, l’air de rien. Amie de la nuance, Colette Fellous pardonne les offenses et cultive le « revenez-y » émancipé, plutôt que l’amertume qui nous enchaîne à nos tourments.
Ainsi le Tunis étriqué de son enfance est-il devenu un réservoir inépuisable d’impressions que vient croquer la mémoire, recréatrice, d’une écrivaine orfèvre de la vie en vrac et du pêle-mêle émotionnel. Colette Fellous, ou le ressac du vague à l’âme fertile…
Notre vigie des lettres et des ondes n’oublie pas, certes à un degré moindre mais au cœur de notre Europe à la fois repue et fourbue, les passants que nous sommes faisant mine de ne jamais remarquer les ombres qui dorment dans nos rues.
Ces temps derniers, les conditions politiques tunisiennes tout comme la situation internationale ont tenu l’écrivaine à l’écart de sa chère Méditerranée, à l’écart du cri de l’hirondelle comme du muezzin, à l’écart de la lumière dans laquelle baignent non seulement les figuiers de sa terre natale, mais Carthage, Sidi Bou Saïd, le djebel Bou-Kornine.
Retenue à Paris, son indignation bat la campagne : de l’Ukraine à la bande de Gaza, à propos desquelles ceux qui ne veulent ni voir ni entendre les souffrances, engendrées par l’impérialisme ou la vengeance, s’installent avec impudence dans une cécité, une surdité, volontaires.
Notre vigie des lettres et des ondes n’oublie pas, certes à un degré moindre mais au cœur de notre Europe à la fois repue et fourbue, les passants que nous sommes faisant mine de ne jamais remarquer les ombres qui dorment dans nos rues.
En conséquence Colette Fellous, comme si elle convoquait les remembrances qui hantent son œuvre, comme si une floppée de spectres tournoyaient sous son crâne, se prend à murmurer, le regard tout à coup inquiet, avec sa douceur féline devenue âpre : « Comment en sommes-nous arrivés là ? »
« Normalement je ne fais pas de déclarations, je fais des films… » En novembre 2024, Avi Mograbi profite de sa présence sur la scène de la cérémonie de clôture du festival international du documentaire de Leipzig pour demander à ses « amis internationaux d’exhorter [leurs] gouvernements à cesser d’armer et de soutenir Israël en ce moment dévastateur et d’encourager le gouvernement israélien à ouvrir la voie vers un Moyen-Orient pacifique où tout le monde sera libre entre la mer et le Jourdain ». Leipzig, ville natale de sa mère et où, comme il le raconte ce soir-là, sa grand-mère avait été battue par des hitlériens dans la rue sans que personne ne lui vienne en aide. Elle avait alors décidé de quitter sa vie confortable en Allemagne et de partir avec son mari et ses deux filles en Palestine.
Si ce soir-là il prend la parole, c’est que les films ne suffisent pas. Voilà trente-cinq ans qu’il en fait, décortiquant l’histoire et le présent d’Israël où il est né en 1956. C’est l’essence même de son métier de cinéaste : il ne saurait raconter autre chose que sa relation à son pays natal. Pas de neutralité, pas d’irréaliste objectivité, Avi Mograbi met en scène la réalité qui se présente à lui dans toute la complexité qu’elle revêt. Homme profondément de gauche élevé dans une famille sioniste dont il s’éloigne des opinions politiques à l’adolescence, il aime son pays autant qu’il le critique.
Même quand on est déjà d’accord, on se parle, on s’encourage, on se soutient, on manifeste de la solidarité. C’est ça qui fait que les films sont toujours importants, et encore plus aujourd’hui.
Avi Mograbi
Quand on l’interroge sur un éventuel cinéma qui l’aurait influencé, Avi Mograbi ne peut s’empêcher de sourire : sa réponse ne va-t-elle pas nous surprendre ? Il pense à deux films. Le premier est signé Chantal Akerman. Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles, l’a estomaqué, à la fois dans son contenu et dans le langage cinématographique que la réalisatrice belge y déploie en 1975. Le second ? The conversations, de Francis Coppola, Palme d’Or en 1974. Autre genre, même claque.
Il faut dire qu’il a la culture de l’image chevillée au corps : sa jeunesse, il l’a passée dans une salle de cinéma, et pas n’importe laquelle. Le grand-oncle Jacob, commerçant aisé de Damas, venu s’installer à Tel-Aviv en 1930, avait remarqué que les ouvriers qui construisaient sa maison préféraient ne pas déjeuner pour économiser leur argent et aller au cinéma. Qu’à cela ne tienne : il achète un terrain avec son frère pour construire un cinéma au bord de la mer. Ce sera le célèbre Cinema Mograbi. Les fondateurs comprennent l’air du temps : à l’heure où le cinéma se met à parler, ce sera la première salle du Moyen-Orient équipée pour le son. Le père d’Avi Mograbi en prend la direction à la fin des années 50. Deux salles, deux ambiances : dans la grande, Avi y découvrira les grands films hollywoodiens. Dans la petite, les Fellini, Bergman, et autre Antonioni.
En 1981, il achève ses trois années de service militaire obligatoire et commence par étudier la philosophie à l’Université de Tel Aviv. Puis il suit une formation artistique en arts plastiques à l’école d’art de Ramat Hasharon. Son premier film, Deportation, court métrage de 12 minutes, est primé au festival de Cracovie en 1989. Dans son deuxième film, The Reconstruction, prix du meilleur documentaire de l’Institut du film israélien en 1994, il décortique une affaire criminelle sordide en dénonçant les manipulations policières ayant conduit à la condamnation de jeunes Arabes israéliens.
Le troisième film le fera connaître à l’international. En 1997, Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon marque le début d’une œuvre singulière traversée par une opiniâtreté à raconter et un sarcasme séduisant, mêlant autofiction et cinéma direct. Dès le début du film il se raconte à l’image, sourire narquois, s’appliquant à se ridiculiser un brun comme un Jacques Tati qu’il admire, pour être sûr qu’on ne le prendra pas trop au sérieux. Le commencement de la méthode Mograbi ?
Le postulat de départ semble pourtant classique : jeune réalisateur revendiqué de gauche, Avi Mograbi veut faire un portrait très critique d’Ariel Sharon, alors en pleine campagne pour faire élire le Likoud aux élections législatives de 1996. Sharon n’est-il pas celui qui a précipité Israël dans la guerre au Liban en 1982, cette « sale guerre » qu’Avi a refusé de faire, ce qui lui a valu de passer 35 jours en prison ? Au fur et à mesure du tournage, le réalisateur devenu lui-même personnage semble tomber de haut : et si Ariel Sharon était contre toute attente un homme bonhomme, drôle et charismatique, qu’il se mettait à apprécier ? Réflexion politique, geste cinématographique, tout se mêle dans cette comédie documentaire qui nous en apprend autant sur Mograbi que sur son pays.
Invité en France à projeter le film au festival de Lussas, qui deviendra son préféré, il rencontre le producteur Serge Lalou. C’est le début d’un rapport privilégié avec le public français et d’une amitié professionnelle au long cours. « Je suis sûr qu’on trouve les empreintes de Serge dans chacun de mes films », s’amuse-t-il. Les Films d’ici coproduiront ses sept long-métrages suivants, à commencer par Happy Birthday, Mr. Mograbi, en 1999. Poussant encore plus loin le mélange des genres, le réalisateur y tourne en dérision la coïncidence d’une triple célébration. En mai 1998 ont lieu les célébrations du cinquantenaire de l’État d’Israël. Pour les Palestiniens, c’est la commémoration de la Naqba, littéralement « la catastrophe » consécutive à la guerre de 1948. Et pour Mograbi ? L’anniversaire de ses 42 ans. Dans un road-movie mêlant fausse production et vraie quête sur traces des villages palestiniens engloutis par l’occupation militaire, il dissèque l’histoire son pays en embarquant le spectateur dans une aventure où le burlesque confine au désespoir.
Les années passent, les convictions s’enracinent, les films se suivent et ne se ressemblent pas. En 2002, une vague d’attentats-suicide pendant la Seconde Intifada pousse Avi Mograbi à interroger les mythes fondateurs de la culture israélienne, notamment ceux de Massada et de Samson, figures bibliques utilisées pour forger l’identité militaire et nationale d’Israël. En découlera Ne vengez qu’un seul de mes deux yeux (2005). Mograbi s’emploie à démontrer comment l’instrumentalisation des mythes dans l’éducation israélienne pousse la jeunesse à s’identifier à des figures de sacrifice et de violence, alimentant l’aveuglement moral des soldats et justifiant, sous couvert de sécurité, l’oppression des Palestiniens. L’une des dernières scènes raconte autant l’homme que le documentariste. Il filme de près des soldats israéliens empêchant des écoliers palestiniens de rentrer chez eux. Hors champ, sa voix d’abord calme les exhorte à ouvrir la barrière. Le dialogue est sourd, la voix de plus en plus énervée. Il crie de les laisser passer. En vain. La comédie est finie, là, elle a laissé place à un cinéma direct qui nous touche au cœur.
Avec Z 32 (2009), Avi Mograbi imagine une nouvelle façon de raconter. Un jeune soldat, ancien tireur d’élite de l’armée israélienne, a participé à un crime de guerre en assassinant deux policiers palestiniens. Il a accepté de raconter son histoire mais seulement si le réalisateur lui assure l’anonymat. Pas d’Avi Mograbi à l’image, pense-t-on d’abord, le film s’ouvrant sur un long dialogue entre le jeune soldat et sa compagne, lui voulant son pardon à elle, elle cherchant à le comprendre et à continuer à l’aimer. Mais c’est mal le connaître. Il surgit, assis dans son salon, cagoulé. Dans une magistrale mise en abyme, Mograbi s’interroge sur le processus d’anonymisation de son personnage et plus largement sur sa propre éthique à raconter l’histoire d’un criminel. À donner refuge à un assassin, ne l’absout-il pas de son crime ? Ce dilemme, il décide de le chanter, réalisant un rêve vieux de 25 ans : « Je rêvais d’être une rock-star, là je chante accompagné de huit musiciens dans mon salon ! » L’équipe du film s’est étoffée, avec notamment le compositeur Noam Enbar, qui signe les textes et la musique et sera à nouveau à la manœuvre pour Dans un jardin je suis entré (2012) puis pour Entre les frontières (2016). La partition musicale est soignée. Avi Mograbi, tel un coryphée inspiré, chante ses états d’âme dans son salon, érigeant sa femme en sage conscience comme il s’était déjà amusé à le faire dans Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon. Extrait choisi : « Il se lave à ton regard, tu t’en tires avec un film encore percutant ! Alors cesse de flirter avec le mal, toi et lui vous n’êtes pas dans la même barque, et promets-moi de ne plus le filmer ici au salon ! »
Le cinéma d’Avi Mograbi ne donne pas de leçon. Il déplace notre regard, rend alerte, pousse à la curiosité de l’autre.
Camille Ménager
En 2022, il compose avec Les 54 premières années, manuel abrégé d’occupation militaire une œuvre à première vue plus classique, au ton plus docte. Les années sont passées sur le visage et les cheveux désormais blancs d’Avi Mograbi. Pour lui, le mécanisme de l’occupation des territoires palestiniens obéit à une planification structurée depuis des décennies. Puisqu’il n’existe pas de manuel officiel, il va l’inventer lui-même, utilisant une vaste collection de témoignages filmés par « Breaking the silence », organisation de soldats vétérans israéliens qui ont servi dans les territoires occupés et qui ont décidé de témoigner de ce qu’ils ont vécu afin de visibiliser l’occupation. De 1967 à 2021, 54 années sont couvertes par des générations de soldats d’époques différentes mais d’expérience similaire. Pour coudre entre eux ces témoignages et des images d’archive choisies avec soin, il fallait un narrateur un peu machiavélique qui, à l’image, endossait le rôle d’un guide dans le manuel : ce sera Mograbi himself. Il s’est même laissé pousser la barbe, après tout, ça fait plus sérieux !
Si dans sa jeunesse il caressait quelques illusions quant à sa capacité à changer le monde avec ses films, l’homme de 69 ans les a enterrées. « Quand vous pensez aux vidéos des désastres qui ont lieu partout dans le monde et que les gens peuvent regarder sans fin sur les réseaux sociaux… Si toutes les atrocités, toutes les horreurs que vous voyez en vidéo à Gaza, n’ont pas poussé la communauté internationale à stopper le génocide que commet Israël à Gaza, alors que peut bien faire un film ? » Pour autant, il ne compte pas s’arrêter d’en faire. Il connaît son public, déjà converti à la cause. Et puis celles et ceux qui le tiennent pour un dangereux gauchiste ne les regardent pas, de toute façon. La raison est ailleurs. Les films doivent être support de discussion, de progrès, de soutien : « Même quand on est déjà d’accord, on se parle, on s’encourage, on se soutient, on manifeste de la solidarité. C’est ça qui fait que les films sont toujours importants, et encore plus aujourd’hui ». Le cinéma d’Avi Mograbi ne donne pas de leçon. Il déplace notre regard, rend alerte, pousse à la curiosité de l’autre. Merci, Monsieur Mograbi.
Retrouvez les films d’Avi Mograbi en accès libre sur Youtube :
La Reconstitution (1994)
Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1997)
Happy Birthday Mr. Mograbi (1999)
Pour un seul de mes deux yeux (2005)
Z32 (2009)
Dans un jardin je suis entré (2012)
Entre les frontières (2016)
Les 54 Premières Années – Manuel abrégé d’occupation militaire (2022)
Portrait de la photographe et autrice Sandra Reinflet, lauréate du prix Roger Pic 2020 et administratrice de la Scam.
Il y a chez elle, jusqu’au bout des ongles – cela va de son maintien à sa façon de s’exprimer –, un alliage rare : le souci des autres et celui de sa liberté. L’empathie et l’affranchissement. L’autrice et photographe Sandra Reinflet ne s’est jamais vécue comme en prise directe avec les Muses, aux fins de se consacrer à l’art pour l’art. Émettrice attentive à la réception de son œuvre, elle se consacre aux « publics sensibles », c’est-à-dire éloignés de la culture, pour des raisons géographiques, sociales ou économiques.
Pas question pour autant de se livrer, pieds et poings liés, à la demande sociale, ni de se faire la simple porte-parole d’une cause dont ses créations seraient l’étendard. Si son travail est politique, Sandra Reinflet n’entend pas en assurer le service après-vente sur ce terrain-là.
D’où son mélange de sidération et de perplexité lorsque lui tomba sur le râble une affaire, fomentée par l’extrême droite, ayant mis sous les feux de l’actualité – ce dont elle se serait volontiers passée – son exposition sise dans la basilique cathédrale de Saint-Denis : « Nouvelles Reines ».* Face aux trente-deux dames de France inhumées dans cette nécropole royale, la photographe a mis en images trente-deux habitantes contemporaines, rencontrées à Saint-Denis et à Aubervilliers, à la suite d’ateliers réalisés avec diverses structures sociales locales.
Une fois établie la confiance, ces Dionysiennes et ces Albertivillariennes ont accepté de poser pour l’artiste, qui entendait saisir le parcours et la personnalité de chacune de ces « néo-souveraines » méconnues, repérées dans les plis précaires de la banlieue nord. Une telle révélation – ne parle-t-on pas de révélateur en photographie ? – s’accompagne, dans la basilique, de la projection, sur ces portraits du XXIe siècle, de fragments de vitraux médiévaux représentant les reines historiques, donnant à cette série de clichés une épaisseur temporelle doublée d’une beauté hybride, étrange ; une beauté à la fois si profane et un rien sacrée : trente-deux femmes mosaïques devenues. Ainsi le morcellement apparaît-il réparateur, à la manière du « Kinsugi », cet art japonais qui consiste à recoller des poteries en miettes avec de la feuille d’or, les rendant alors plus précieuses qu’avant la casse.
Le clergé catholique, si sensible à la question de l’incarnation, a trouvé le projet à son goût. Rendre visible l’invisibilité de citoyennes de peu d’aujourd’hui, drapées de teintes immémoriales héritées des maîtres verriers de jadis : quoi de plus chrétien, si l’on songe à une certaine nativité, dans la pauvreté de la Bethléem d’il y a deux mille vingt-cinq ans ?…
Alors que la haine d’autrui prospère en l’absence de l’Autre, c’est à la rencontre de celui-ci que nous convie l’art de Sandra Reinflet
Antoine Perraud
Cette vision bien tempérée n’a pas effleuré une poignée d’activistes postfascistes obsédés par un morceau de tissu qui met l’esprit public en émoi depuis une trentaine d’années : le foulard – hijab –, souvent appelé « voile », que portent certaines femmes musulmanes pour couvrir leur chevelure, leurs oreilles et parfois leur cou. Or sur les trente-deux « Nouvelles Reines », deux arboraient, tout naturellement, cet attribut islamique.
Près de six mois après l’inauguration de l’exposition en septembre 2024, la guerre fut déclarée, au mois de mars, par quelque pan de la fachosphère. Les mots habituels de la panique morale furent lâchés sur les réseaux sociaux : « Propagande immigrationniste », « blasphème » et tutti quanti. Le 11 mars, des séides d’un groupuscule d’ultradroite joignaient le geste à la parole en déboulant pour s’en prendre à trois portraits.
Sandra Reinflet n’est toujours pas revenue de cette irruption de la haine. Elle vit à Saint-Denis, ville riche de ses différences, où la plupart des habitants, comme presque tous les enfants dans les écoles, ne remarquent ni ne mentionnent les signes distinctifs – vêtements ou couleur de peau : « Ce n’est pas un sujet », remarque-t-elle en souriant. Et d’ajouter : « Au point que parfois, cela manque à la description dans le récit d’un élève revenant de l’école. L’hétérogénéité passe pour naturelle, quand on habite sur place. Ce sont des regards extérieurs, à la manière de cartes postales mal intentionnées, qui s’alarment, en toute méconnaissance de cause, comme lors de la campagne abominable que nous avons vécue. »
Notre artiste a voulu mettre en avant le courage, la résolution et l’ardeur de femmes résilientes, cernées par les violences ou luttant contre le virus du sida. Son approche, humaine, se révèle en définitive la même que celles d’autres séries entreprises. En particulier « Voie.x » (Prix Roger Pic 2020), magnifiques et poignants portraits d’artistes « sous contrainte », c’est-à-dire obligés et capables de créer, à coup de contournement et d’inventivité, malgré la censure ou le manque de moyen ; de la Mauritanie à la Papouasie-Nouvelle-Guinée en passant par l’Iran.
Ainsi fut décelé, saisi et magnifié au grand angle le sculpteur mauritanien Oumar Ball, au milieu de ses oiseaux tressés de fer, tels des grillages qui prendraient vie pour s’envoler en s’émancipant et s’émanciper en s’envolant. Ainsi fut mis au jour l’artiste visuel et performeur papouasien Jeffrey Feeger, qui, en l’absence de galerie, expose sur un tronc d’arbre enjambant une rivière sa série de cailloux aux couleurs vives, à la manière d’un Petit Poucet qui jamais ne désespère d’être abandonné à son sort de démiurge vulnérable et laissé-pour-compte.
Outre la compassion, le regard de Sandre Reinflet semble toujours dévolu à une forme de dévotion. L’une de ses premières invocations photographiques, voilà bientôt quinze ans, s’intitulait « Je t’aime [maintenant] ». Il s’agissait de représenter vingt-quatre personnes chéries, ne serait-ce qu’un instant, depuis l’enfance. Voilà une sorte de cadran solaire émotionnel. Il récapitule les rencontres capitales qui ont constitué l’enfant née à Thionville le 11 novembre 1981, ayant grandi à Saumur, passée de l’hétérosexualité à l’homosexualité – cette dernière donnée biographique lui vaut des tombereaux d’injures, de menaces, ou encore de dénonciations auprès de l’Église, de la part de ses contempteurs surchauffés de l’extrême droite.
Une telle douche froide a forcément quelque chose d’oppressif. L’artiste est rassérénée par le soutien du monde catholique – non intégriste –, ainsi que du CMN (Centre des Monuments Nationaux), la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et de la Ville de Saint-Denis. Les institutions tiennent. Mais qu’en est-il de l’autocensure, ce baromètre interne qui alerte tout créateur en fonction de la météo politique ressentie, à l’heure de photographier ou d’écrire – Sandra Reinflet rédige les textes accompagnant ses prises de vue ; elle qui a publié trois livres-photos ainsi qu’un roman, Ne parle pas aux inconnus (JC Lattès, 2017).
Encore sous le coup de la fureur dont elle-même et son œuvre firent l’objet, la voici qui réfléchit à haute voix, à la fois alanguie et aux aguets, grave et sardonique, terriblement présente et déjà peut-être ailleurs, quand nous la rencontrons à la sortie d’un conseil d’administration de la Scam ; avant qu’elle ne file à un rassemblement prévu, à la Bastille, pour protester contre la misère budgétaire dans laquelle le pouvoir enfonce en ce moment la culture.
« J’avais eu un doute, explique-t-elle, au sujet de l’un des portraits de “Nouvelle Reine”, me demandant s’il serait accepté. Il l’a été sans problème. Une femme avait demandé à poser torse nu après avoir guéri d’un cancer du sein. On voit ses cicatrices. Dans une basilique cathédrale, je m’étais demandée si cette nudité, même habillée de la lumière des vitraux passerait… En revanche, je n’avais pas songé un seul instant au voile. J’ai photographié les femmes comme elles souhaitaient l’être, sans jugement ni influence. Naïvement peut-être, puisque je l’avais toujours fait jusque là sans que cela suscite de polémique. Sauf que l’époque change, et que la parole raciste se libère à un point que je n’avais jamais mesuré d’aussi près. J’espère que cette affaire ne modifiera pas inconsciemment mon regard sur mon travail. Me poser la question la prochaine fois serait une forme de victoire consentie à l’extrême droite. Comment arriverai-je à ne pas me laisser effleurer par un tel repli régressif lors de mon projet suivant, à Rouen par exemple, avec des femmes là encore marquées par leur territoire, leur lieu de vie et les influences qui en résultent ? »
Autre programme en cours, soutenu par la DRAC, au sud des Vosges, dans ce Grand Est gangréné par le vote lepéniste : « Lieux communs. » Sandra Reinflet entend interroger la disparition d’espaces collectifs comme les cafés et les commerces, mais aussi liés aux services publics : les gares, les bureaux de postes, les transports, les hôpitaux. De ce fait, ne seront photographiés que des lieux personnels, individuels, particuliers, à travers des fenêtres. Tout devrait renvoyer au désert qui croît et sur lequel s’indexe le vote extrémiste et raciste : « Abandonnés et délaissés, les habitants ont l’impression que l’argent qui n’arrive plus jusqu’à eux est détourné. Par les immigrés qu’ils pensent assistés. D’où une recherche de boucs émissaires instrumentalisée par l’extrême droite. Se déploie du coup un racisme en l’absence de victimes du racisme : les racisés. Dès que ceux-ci s’incarnent, deviennent vos voisins, les condisciples de vos enfants à l’école, comme à Saint-Denis, le racisme reflue. »
Alors que la haine d’autrui prospère en l’absence de l’Autre, c’est à la rencontre de celui-ci que nous convie l’art de Sandra Reinflet. Et ce, sous forme de portraits. Non pas de morts, comme l’art funéraire égyptien du Fayoum, mais de vivants que trop d’entre nous, désormais, voudraient sinon morts, du moins exclus, refoulés, relégués, voire déportés.
Dans ses photographies comme dans ses textes, Sandra Reinflet offre une hospitalité symbolique à ses prochains, à la façon d’une mère aubergiste des arts visuels procurant à chacune et à chacun sa chambre claire. Ainsi va sa reconnaissance, dans tous les sens du terme.
* L’écume de la polémique en ferait oublier l’essentiel : l’exposition est ouverte jusqu’au 27 avril 2025.
Par ailleurs, VoiE.X sera exposée du 5 juin au 31 août 2025 au Château d’eau – Château d’art de Bourges